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FEMMES JUIVES D'ALGÉRIE

Par

Joëlle Allouche-Benayoun

 

 

 

Les Juifs d'Algérie comprirent que l'école, puissant processus de "francisation" était aussi un agent de promotion sociale et d'émancipation.

Nous faisons l'hypothèse, étayée par de nombreux témoignages, que les femmes furent tout autant des "gardiennes de la tradition" que des "portiers" importants de la modernité. Elles furent celles qui, même maladroitement, introduisirent les modes de vie, la langue, les vêtements du colonisateur admiré au sein du foyer domestique.
 

Les récits de vie recueillis rappellent l'influence exercée par les maîtres d'école sur l'évolution des mentalités. Dans la société traditionnelle juive, les garçons n'étaient pas analphabètes ; dès le plus jeune âge, ils apprenaient à déchiffrer l'hébreu, à discuter les textes sacrés. Mais cet enseignement répandu en Algérie était réservé aux seuls garçons ; les filles en étaient exclues.
 

Or dès 1842, douze ans seulement après la conquête, les observateurs notent la présence à l'école française d'Alger d'un nombre croissant de fillettes juives. À partir de 1882, comme en France, l'école primaire devint laïque, obligatoire et gratuite. Les juifs comprirent rapidement quelle chance leur était offerte et, dès la fin du XIXe siècle, non seulement les garçons mais aussi les filles y étaient de plus en plus nombreux. Et même si plus souvent que les garçons les filles étaient retirées de l'école, sa fréquentation marquait profondément les mentalités. Les fillettes découvraient un monde nouveau ; leurs enseignants professaient les idéaux républicains : "liberté, égalité, fraternité".

 

Enfants au tout début du siècle, soit après soixante-dix ans d'influence française en Algérie et près de trois décennies après le décret Crémieux, âgées de soixante-dix ans et plus dans les années 1970-1980, ces femmes gardaient un souvenir émerveillé de l'école primaire de la Ille République.

 

Pour la majeure partie d'entre elles, la scolarisation a profondément modifié leur conscience de petites filles, puis de femmes, les amenant à se concevoir comme des êtres humains au moins aussi intéressants que leurs frères ou que les hommes de leur famille.

C'est en classe qu'elles acquirent une dignité, une ouverture sur l'autre, qui les ont profondément marquées.

Entre 1896 et 1962, une centaine d'ouvrages littéraires furent publiés par des juifs d'Algérie, dont près de 20% écrits par des femmes.

 

On y trouve des romans, des contes et des nouvelles, mais aussi des récits autobiographiques, des recueils de poésie, des pièces de théâtre. Quelques-unes d'entre elles accédèrent à une certaine notoriété, y compris en "métropole".

La célèbre Élissa Rhaïs, auteur de douze titres à succès, fut reçue dans tous les salons littéraires parisiens au cours des années 1920, et collabora activement aux mouvements et aux revues féministes de son époque.
 

Blanche Bendahan fut, quant à elle, lauréate en 1930 du grand prix de l'Académie française pour son roman Mazaltob, qui met en scène la condition féminine juive, conçue comme une fatalité (une mère meurt en enfantant, une jeune fille aime un chrétien qu'elle ne peut épouser, etc.).

Les ordres paternels étaient exécutés sans protestation. Dans les milieux modestes, on retirait les petites filles de l'école, même si elles étaient douées.

Certains pères les mariaient, ou les mettaient en apprentissage dans l'entreprise familiale, ou les «plaçaient» à l'extérieur sans leur demander leur avis. D'autres refusaient de les laisser exercer le métier qui les attirait.

 

Dans les années 1950 encore, la jeune fille titulaire d'un diplôme universitaire n'avait qu'un choix si elle voulait travailler : quitter l'Algérie. En effet, dans la bonne société judéo-algérienne, il était assez rare qu'une femme instruite mette à profit ses diplômes ; elle pouvait, à la limite, aider son mari, mais non exercer une profession indépendante. Pourtant, entre les deux guerres déjà, certaines devinrent enseignantes ou médecins - mais non sans mal.

À partir des années 1930, les métiers exercés par des femmes se diversifièrent. Cette tendance s'accentua au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : aux couturières et aux cuisinières, les progrès de l'instruction firent succéder les sténodactylos, les secrétaires, les employées de la fonction publique, les Institutrices pour les plus cultivées.

En cela, les femmes juives d'Algérie évoluèrent, sociologiquement et psychologiquement, comme l'ensemble des femmes françaises de leur génération, dont elles partagèrent le combat pour une plus grande égalité.
 

La naturalisation collective par le décret Crémieux, la forte concentration urbaine, la scolarisation dans l'enseignement public ont accéléré l'évolution culturelle de la judaïcité algérienne. L'école plus particulièrement a accompli sa mission de « francisation

L'analyse fine des processus d'acculturation révèle à la fois la permanence de certains modes de vie, de certaines coutumes et traditions, de croyances et de superstitions, ainsi que l'évolution progressive de cette judaïcité.

Dans l'organisation de leur vie familiale, dans leurs pratiques religieuses, dans leurs réseaux de sociabilité, dans leur vécu quotidien, les juifs d'Algérie conservent, aujourd'hui encore en France, des traditions du passé.
 

Mais hommes et femmes d'Algérie s'étaient déjà transformés sur place, là où ils avaient toujours vécu. Devenus citoyens français, leurs combats se sont confondus avec ceux de leurs compatriotes.

 

 

Références de l'extrait de ce texte : Pages 215 à 218 de l'ouvrage "Juifs d'Algérie" publié par le mahJ (Musée d'art et d'histoire du Judaïsme) en septembre 2012