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Bienvenue sur le site de l’association MORIAL

Notre objectif : sauvegarder et transmettre la mémoire culturelle et traditionnelle des Juifs d'Algérie. Vous pouvez nous adresser des témoignages vidéo et audio, des photos, des documents, des souvenirs, des récits, etc...  Notre adresse

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L’ensemble de la base de données que nous constituons sera  régulièrement enrichie par ce travail continu de collecte auquel, nous espérons, vous participerez activement.  L'intégralité du site de Morial sera déposée au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme (MAHJ) à Paris, pour une conservation pérenne .

Tlemcen, le kiosque à musique au centre ville
Médéa : rue Gambetta (1945)
Alger : rue d'Isly (1930)
Une oasis à Ouargla (Territoire du Sud algérien)
La Grande Poste d'Alger (Photo J.P. Stora)
Square Bresson
Lycée E.-F. GAUTIER D'ALGER
Service Alger - Bouzareah
Alger : le marché de la place de Chartres
MEDEA - Le Café de la Bourse
Guyotville - La Plage

 

Par Hubert ZAKINE

Ce roman broché de 250 pages est paru aux Presses du Midi le 26 janvier 2010.

Résumé de l’ouvrage

L'auteur nous propose l'héritage de notre fortuné quartier, brossant à la manière des impressionnistes, les couleurs d'une amitié régnant en maîtresse absolue sur Bab El-Oued.
Son art consommé de la description des scènes pittoresques de la rue a su nous émouvoir grâce à des phrases empreintes de sensibilité et de nostalgie.

En nous invitant, par la lecture de ce magnifique ouvrage, à revivre la prodigieuse histoire des gens de "chez nous", Hubert Zakine nous entraîne dans un tourbillon émotionnel, nous aidant à revisiter nos quartiers, nos cités, nos jardins, nos cafés. le décor de notre exceptionnel destin. 

Ci-dessous des extraits de "Il était une fois BAB EL-OUED" avec l'aimable autorisation de Hubert Zakine.

HISTORIQUE

LA NAISSANCE

Nous sommes en 1845. Hors les murs de la citadelle, un nommé LICHTEINSTEIN, de nationalité allemande, possède la jouissance d’un terrain de vingt-cinq hectares qu’il aurait acheté, pour "une poignée de figues", à un juif superstitieux, désirant se débarrasser de cet ancien cimetière israélite.

Son intention de créer une cité en lieu et place du conglomérat d’habitations utiles aux travailleurs qui œuvrent à l’édification et au renforcement des remparts de la ville est soumise au Président du Conseil, le Ministre Nicolas SOULT. Sitôt accepté, le projet voit le jour. La cité BUGEAUD sort de terre grâce au concours de nombreux industriels parmi lesquels quelques aventuriers, escrocs ou spéculateurs qui quitteront le pays, l’opprobre pour seul et unique bagage.

Bab El Oued naît dans la douleur. Les vieilles maisons de torchis, de bouse, de diss et de boue ne résistent pas à l’oued M’Kacel, lors des pluies diluviennes d’octobre qui enjambent le pont BAR CHICHA, construit sur le tombeau de ce grand Rabbin d’El Djézaïr. Pont qui sera détruit par l’oued, reconstruit et rebaptisé "pont de fer".

Mais le ciel veille sur ce quartier qui comptera plus tard jusqu’à cent mille âmes. Au loin, se détachant sur l’azur, une masse claire se dresse, majestueuse et tentatrice. Cette carrière qui appartient au Procureur de la République à Constantine, Monsieur ROUBIERE, offre le calcaire bleu de ses entrailles pour bâtir le faubourg. Ceinturée de fours à chaux, non loin des jardins du Dey, la montagnette est vendue aux frères JAUBERT dont le nom restera accolé à la construction de Bab El Oued.

Les carriers valenciens retroussent leurs manches, imités bientôt par les maçons piémontais; les briqueteries et les fours à chaux tournent à plein régime, Bab El Oued troque ses habitations éphémères pour des maisons en dur. Suivent les commerces et les professions libérales. Les fortifications sont déplacées en 1848. Elles avancent vers le cœur de Bab El Oued, de la place MARGUERITTE du futur Lycée BUGEAUD à l’Esplanade NELSON, à hauteur du futur boulevard Général FARRE , à deux pas de la mer.

Bientôt, les écoles installent le savoir au centre du faubourg. De partout affluent des familles. La ronde des naissances ancre définitivement cette population issue de nulle part à ce quartier mythique. 

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Bab-El-Oued l’Européenne meurt officiellement le jour de l’indépendance de l’Algérie.

Mais ce quartier aux mille parfums d’épices, aux amitiés éternelles et aux fausses rancunes, aux coups de colère légendaires et aux visages burinés par le soleil et la mer a cessé d’exister avec le départ des premiers « exilés involontaires pour raison d’état ».

Le coup de grâce survient au mois de mars 1962 avec la signature des accords d’Evian, le blocus de Bab El Oued et la fusillade de la rue d’Isly. Dés lors, chacun s’emploie à prendre un billet d’avion ou de bateau afin de fuir la curée.

Une tristesse indicible accompagne la descente aux enfers de ce peuple qui aurait pu donner des leçons d’optimisme et de joie de vivre au monde entier. Les pas des derniers promeneurs qui, par reflex d’habitude, par inconscience aussi, effectuent l’ultime « andar et venir1 », le dernier « paséo2 », la suprême « passegiata » de l’avenue de la Bouzaréah, se perdent dans l’assourdissante résonance d’un silence de mort. L’avenue ouverte aux quatre vents de l’amitié d’enfance, du voisinage des balcons, de la fureur des rues et du fou-rire de l’insouciance renvoie l’image d’un voyage au centre de la solitude. Les magasins aux yeux clos ont, pour la plupart, déjà tiré leur révérence. D’autres, vitrines exsangues et patrons sur le pas de la porte, attendent l’hypothétique clientèle. Ce petit homme au costume fané demeure à l’intérieur de son atelier d’horlogerie, dans cette autre maison où il a vu défiler les heures de sa vie et de son quartier. Devant sa machine à polir inerte, il écoute la musique insolite du silence. Comment prendre la décision de partir pour un ailleurs impossible et dérisoire ? Comment ?...

Le moindre bruit fait aujourd’hui sursauter des hommes et des femmes habitués à la fureur des pays méditerranéens où l’éclat de rire demeure le son le plus répandu. On se retourne machinalement pour s’assurer que personne n’a de mauvaises intentions ou dans l’espérance de voir une dernière fois un visage ami.

Au détour d’un café dont le rideau reste désespérément baissé, la machine à remonter le temps entraîne vers la douceur des jours heureux lorsque la multitude envahissait ces temples de l’amitié qui s’égaraient parfois dans un verre d’anisette. Le temps s’est arrêté aux Trois Horloges lors du blocus de Bab El Oued. Ses aiguilles qui tricotaient la vie d’un petit peuple fier de la sueur des aïeux, qui battaient au rythme des chansons napolitaines, des mélopées judéo-arabes et des mandolines espagnoles avaient partagé les petites joies et les grandes peines de cette comédia dell’arte permanente qui sévissait dans le quartier. Elles se sont essoufflées à tenter de suivre la course endiablée de la jeunesse et le cœur fatigué, elles se sont éteintes avant l’heure, avant la déchirure, avant le grand départ. A jamais. A toujours.

Le cimetière des balcons accompagne le dernier convoi de l’exode.

Des rangées dépingles orphelines espèrent encore la grande parade multicolore du linge séchant au soleil. Témoignage de vie, témoignage de Méditerranée, les terrasses ouvertes sur la mer assistent au chaos d’un départ salvateur. Les persiennes de bois refermées, les immeubles semblent prolonger la sieste des fantômes du faubourg. La vie est partie de ce grand corps inerte. Le squelette de Bab El Oued mettra des années à se désintégrer. Les murs sont debout mais ils ne répercutent plus les bruits et les senteurs d’autrefois. Bab El Oued la française, Bab El Oued la tricolore, Bab El Oued l’européenne a glissé lentement de la réalité à l’imaginaire. Elle s’est fondue dans le moule commun du souvenir de ses enfants,

Elle n’est plus que NOSTALGIE.

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ECONOMIE  : LES MARCHES

Bab El Oued ressemble à ses habitants. Il a le verbe haut et le rire en bandoulière. Il tape cinq en signe de complicité et des « bras d’honneur » à la fatalité. Il aime « tchatcher1 » pour le simple plaisir de se mêler à la conversation. Il garde de son passé d’homme de la mer et de la misère un goût prononcé pour le travail bien fait et tient en grande considération celui qui ramène le fruit de son labeur à la maison. La bonne réputation d’un homme rejaillit infailliblement sur tous les membres de la famille et la femme est l’objet de toutes les attentions. Si l’homme est le poumon de la maisonnée, la femme en est le cœur, l’épicentre, le muscle. Mère au foyer, elle est la poutre maîtresse de l’édifice familial. Ses prérogatives touchent à toutes les étapes de la vie. Elle est le ministre des finances, de l’enseignement, de l’intérieur et des loisirs. Les tâches ménagères et l’éducation de ses enfants demeurent tout de même sa priorité. Elle adore son intérieur mais ne dédaigne pas sortir de temps en temps prendre le pouls du quartier. Pour cela, le jardin et le marché sont les témoins privilégiés de tout se qui se trame dans le faubourg. 

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Bab El Oued compte deux grands marchés en son sein. Copie conforme du marché de la place de Chartres avec son toit couvert et ses lattes de bois, ses délimitations bien définies avec ses quatre côtés dédiés au poisson, à la viande, aux fruits et aux légumes, le marché de Bab El Oued est le rendez-vous des ménagères et des médisances, des rires et des larmes, des apprentis sorciers de tous poils, des buveurs d’absinthes remplacés plus tard par l’anisette, des amateurs de soubressades et de « boutifars », de beignets arabes et de zlabias, de beignets italiens et de cornets de glace, d’amitié et de football. Tout ce petit monde, mu par l’ivresse des mots et des rires, des marchandages et des disputes, des couleurs et des arômes, arpentent ses allées parfumées de kemoun et de sésame, ses ruelles avoisinantes peuplées de forains, marchands des quatre saisons, de salaisons, de mercerie, de figues de barbarie, de jujubes ou de barbe à papa. A l’intérieur, le boucher débite des "steaks américains"», steaks hachés coincés entre deux fines feuilles de Cellophane.

Le client hésitant tâte les légumes ou les fruits sous l’œil débonnaire du marchand car ici le client est roi. Tout en patrouillant au ralenti, les agents de police du commissariat tout proche du cinquième arrondissement apportent leur pierre à la bonne ambiance du marché. Pour la plupart du quartier, ils promènent leur uniforme au milieu d’une foule dont chaque visage appelle quelques uns de leurs meilleurs souvenirs d’enfance. Les nombreuses rencontres se font au détriment du repas car les discussions durent des heures, à en oublier presque la sortie des écoles pour les enfants, du bureau ou de l’atelier pour le mari. Les hommes évoquent le prochain match de l’A.S.S.E contre les coqs du GALLIA, derby qui fout « la rouf2 » aux supporters des deux formations, tant ces affrontements déchaînent les passions.

Le marché de Bab El Oued qui promène sa désinvolture autour des Trois Horloges, qui grouille comme une ruche d’abeilles entre les étals, qui s’arrête au café pour « taper la khémia » et « tchatcher » pour ne rien dire, qui « tape cinq » pour mieux se faire comprendre car ici la gestuelle accompagne la parole et souvent, la supplante, demeure le centre nerveux du faubourg pour qui désire prendre le pouls de sa population. Ici, plus question de délimitations originelles.

On vient des quartiers Léon ROCHES, Consolation, Messageries, Basseta, rochambeau, Triolet, DURANDO, MALAKOFF. On vient aussi pour y passer un moment et retrouver les amis de jeunesse en dégustant une bonne « calentita3 » salée et poivrée « juste ce qu’il faut », taper le beignet arabe chez BLANCHETTE ou le beignet italien chez TONY MARIO.

Le wattman du tram tente vainement de se débarrasser de la grappe d’enfants agrippée à l’arrière de la machine en comprimant la poire qui meugle telle une vache étranglée. De son coté, le conducteur, à petits coups répétés, fait tinter la cloche en martelant la sonnette dorée qu’il tient à portée de main ou bien utilise le klaxon à pédale pour se frayer un chemin parmi la foule ô combien indisciplinée. Le petit « yaouled1 » qui, depuis la guerre remplace le petit juif dans les métiers de rues, insiste pour cirer les chaussures d’un jeune homme adossé à la devanture du café, occupé à guetter le passage d’une jolie fille dont le regard en croisant le sien fertilisera son imagination et suffira à son bonheur. Si le client cède à sa démarche, il commence par cracher sur les chaussures, puis passe un chiffon pour uniformiser le brillant. Ensuite, il dépose une pointe de cirage et astique à la vitesse grand V. Enfin, il tape du revers de sa brosse sur sa caisse pour faire changer de pied et deux fois pour avertir que la besogne est terminée.

Au cri de « porteur, porteur » d’autres yaouleds, tels des « samotes 2 », viennent à bout de la résistance des ménagères pour porter leurs paniers, gagnant au passage quelques pièces de monnaie. Pour prévenir la clientèle de sa présence, le marchand de calentita tape de sa spatule en fer sur le rebord de sa plaque noire où sont sagement rangés les carrés prédécoupés de cette salaison à base de farine de pois chiches. Bruits familiers qui ensoleillent le marché, mêlé à d’autres résonances, d’autres rires et d’autres fureurs. A l’angle de l’Avenue des Consulats, un groupe d’hommes tape la « mora » à grand renfort de coups de gueule qui tromperaient toute personne étrangère à ce jeu espagnol importé de la Basseta, sur les intentions des participants. Les Français connaissent une version aseptisée de ce jeu : la pierre, la feuille et les ciseaux. Mais la comparaison s’arrête là. 

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Le marché NELSON à ciel ouvert jusqu’en 1956, ressemble à son quartier et à sa population. Le client s’interpelle en sourdine et la fréquentation moins cosmopolite n’envahit point les rues avoisinantes. Cantonnés dans un espace réduit qui borde le square NELSON, les étals achalandés de légumes, fruits et poissons laissent le soin aux magasins alentours, sous les arcades de la rue Eugène ROBE, de proposer d’autres produits, viandes, charcuterie (ah! la charcuterie GIGUIER) droguerie, fleurs, etc…

Plus feutré, le marché accueille les habitants de ROCHAMBEAU, GUILLEMIN, EL KETTANI, AVENUE DE LA MARNE, LAZERGES, MONTAIGNE, mais contrairement au marché de Bab El Oued, son intérêt demeure exclusivement alimentaire. D’ailleurs le lieu ne se prête pas à la flânerie et si l’on rencontre un ami, on préfère taper un « kawah 3 » au bar NELSON chez SOLER ou bien arpenter les

allées du magnifique square où les hommes promènent leurs chères petites têtes brunes alors que les épouses choisissent les ingrédients pour agrémenter leur table.

En 1956, le marché sera couvert et déplacé à l’intérieur du jardin. Chaque étal sera en Fibrociment, le poisson à l’opposé des fruits et légumes. Cet édifice en dur conforte la différence entre les deux principaux marchés de Bab El Oued. 

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VIE ET MŒURS  :LE LANGAGE

 

LE PATAOUETE

 

La langue de chez nous autres, c’est pas la langue à tout le monde. Elle ressemble à aucune autre et aucune autre langue elle ressemble à la langue de Michel SOLBES, Henri AGULLO ou Jacky ZENOUDA.

C’est pas une langue de bois même que les politiciens y sont champions du monde mieux qu’au football.

C’est pas une « mauvaise langue » encore que certaines femmes rien qu’elles critiquaient les voisines. Notre langue à nous autres, rien elle a à voir avec le phrasé de LAMARTINE mais plutôt avec celui de « La  Martoune », « celle qu’elle a des blis-blis dans le citron », avec un zeste d’italien, un soupçon d’espagnol, une pincée d’arabe, trois fois rien de juif, quelques bribes de français et une tonne de gros mots.

Notre langue, elle a un nom à coucher dehors même que Azrine1 même pas y connaît son origine. Musette ou pas Musette? Taouète ou pas taouète, that is the question?

Notre langue, c’est la langue pataouète. Rien tu dis son nom et tu comprends que c’est une langue qu’elle a pas de pays. Peut être que c’est un kilo,2un tchitchepoune3, un ivrogne quoi, qui l’a nommée ainsi pour faire rimer pataouète et anisette. A saoir!

Toujours est-il, pour que le pataouète y reste pas une langue morte, obligé plein des écrivains que total y z’écrivent comme des savates, y z’ont tiré une langue comme ça pour raconter des histoires à dormir debout.

La langue pataouète, elle est comme les pataouètes eux mêmes: des marseillais à la puissance dix ( it la Grande Zohra4) Alors obligé, les mots et les expressions françaises y suffisent pas pour exprimer ça qu’on a dans le ventre et qu’on sort par la bouche. Quand un métropolitain y rencontre une connaissance y lui dit : « comment allez vous? ». La vérité c’est fade

comme un plat de couscous sans loubia, sans harissa et sans ch’tétrah5

Nous autres, avant de dire bonjour, on se donne une grande claque dans le dos pour montrer la force de nos sentiments même que ça fait un de ces mal! Après on s’insulte la mort de nos morts tellement qu’on est content de se revoir. Ensuite on s’embrasse la mort de nos osses. Enfin, rien qu’on parle pour rien dire avec des mots pataouètes que grâce à Dieu y z’existent oussinon on resterait muets comme des carpes qu’elles seraient pas radoteuses comme Madame NOGUES que toujours elle répète comme une smata qu’elle est.

Le langage pataouète, en un mot comme en cent, il a plus de punch et il est plusse imagé. Y sort du cœur alors que le français y sort seulement de la bouche.

La langue pataouète elle pêche dans la Méditerranée la bouillabaisse, la paella, la macaronade et le couscous et elle en fait un gigantesque « ralota6 »; quel imbécile en français y devient « quel babao7», « quel r’mar7 », « quel badjej » , « quel torrène7 » en pataouète. 

 

Disons que le pataouète est un français gargantuesque dont les effets gestuels, sonores et grammaticaux y sont amplifiés par cent, voire mille.

Le pataouète, un manchot y peut pas le parler parce que les mains de nous autres, elles sont le prolongement de notre bouche. Un « karse1 », un « smom2 », une figure d’enterrement quoi, y peut pas apprendre le pataouète « pace3 que » la langue de chez nous autres, elle se chante et elle se rit, elle se crie et elle s’exclame, elle s’enflamme et elle enflamme. Notre langue, elle puise son énergie dans les jardins de Tolède, les cafés de Livourne, les souks d’Arabie ou les ruelles de Jérusalem. Notre langue elle est notre expression, notre passeport pour l’amitié, notre essence de civilisation méditerranéenne, notre mémoire éternelle.

ELLE EST NOTRE AME !

 

VIE QUOTIDIENNE

L’AMITIE 

Comme un joli bateau qui danse au large de l’indifférence, sur les bancs de l’école ou des jardins publics, l’amitié prend naissance au royaume de l’enfance. Prédisposé pour ce sentiment irréversible, le Méditerranéen profite de sa propension à vivre dehors pour le partage, l’aversion ou l’échange. Ce frère par le cœur élu, cet autre soi-même auquel l’on s’identifie et se rallie, emplit le verre de l’amitié offert sur le comptoir de la complicité.

Un ami me disait récemment : « un ami, c’est celui qui rit au même moment que toi et pour les mêmes plaisanteries. S’il sourit seulement, il sera tout au plus, un camarade !  »

Rien n’est plus juste car le rire demeure le dénominateur commun de cette connivence qui peut mener à l’amitié.

De toutes les misères occasionnées par la perte du pays natal, les Bab El Ouédiens rangent la perte de leurs amitiés comme l’une des plaies les plus difficiles à refermer.

Bab El Oued, par ses espaces aérés sur la « rue », par ses lieux de vie au grand air que sont les jardins, par ses cafés où se rassemblent autour d’une anisette un petit monde besogneux est une de ces terres fertiles pour ensemencer une amitié entretenue par la permanence des rencontres. Par « l ‘avenue », à l’envi, parcourue. Par une façon d’aborder l’existence via la richesse du cœur, aiguisée par la communauté de pensée d’un voisinage omniprésent, le Bab El Ouédien s’enracine dans ses amitiés tel un chêne dans un sol accueillant.

Dans un premier temps, la « rue » sélectionne l’amitié. Puis, les affinités se révèlent plus précisément au sein de l’école. L’espoir de se voir placer par le maître aux côtés de son camarade demeure souvent lettre morte sauf si l’instituteur laisse le choix aux élèves.

L’adolescence prend ensuite le relais accompagnant cette complicité au delà de l’âge adulte, parfois de l’éloignement géographique et pour les enfants de Bab El Oued comme pour les « pieds noirs » dans leur ensemble, au delà de l’exode.

Les retrouvailles résonnent, alors, de tape-cinq, de rires et de sincères accolades. Dans les sous-bois enfumés d’odeurs de merguez, on récupère peu à peu ses quinze ans et l’on s’aperçoit que seul un ami partage le rire sur les mêmes plaisanteries.

L’amitié ne peut s’exprimer dans la solitude. Elle a besoin du miroir de cet autre soi-même, ce frère exilé, bafoué, trahi qui parcourt la vie, amputé de cette affection éparpillée aux quatre vents de l’histoire par un référendum perdu d’avance.

Retrouvailles qui blessent autant qu’elles comblent de joie parce que temporaires. Alors, on se prend à rêver ce qu’eût pu être la vie si d’aventure, la séparation n’avait été qu’illusion, l’indépendance un mauvais rêve, si le partage de l’enfance puis de l’adolescence avait poursuivi son chemin au delà de 62, sur les trottoirs de Bab El Oued.

Parmi les gens branchés sur la même longueur d’ondes, à l’écoute des joies et des peines du faubourg.

Hélas, la dislocation de ces amitiés d’enfance s’avère bien réelle et l’image du bonheur se dilue dans les brumes du pays de France. La mémorisation de ces visages perdus dans l’ironie des cheveux enfarinés et des tailles arrondies mesure le temps passé sans eux. Alors, les vieux albums de photos d’antan s’ouvrent dans la quête pathétique d’un retour vers les années de jeunesse lorsque sévissait l’amitié.

Quand un quartier tout entier se cotisait pour s’offrir la balle en caoutchouc qui remplaçait avantageusement la boite de chique en fer blanc, la balle de tennis ou la pelote confectionnée avec des tombées de tissus pour disputer le sempiternel match de football entre deux égouts, au jardin ou entre deux passages de voitures dans la rue du faubourg. Quand les « chitanes » se muaient, pour les beaux yeux d’un joli minois, en de charmants garçons si bien élevés qu’ils étonnaient le voisinage habitué « aux sales manières de ces p’tits voyous ». Ainsi, tout au long des saisons se forgeait l’amitié, « le seul carburant qu’on connaisse qui augmente à mesure qu’on l’emploie » comme le chante si bien le regretté Herbert PAGANI. Une amitié galvaudée qui s’édulcore, de nos jours, à force d’être banalisée par tout un chacun alors que ce sentiment à la frontière de l’amour, cette offrande de l’innocence, cette découverte de l’enfance, demeure le plus beau sentiment de l’homme. Bab El Oued possédait le rare privilège de respirer l’amitié à pleins poumons, une amitié écrite à l’encre indélébile dans le ciel d’Alger. Une amitié dont le A majuscule grandit chaque jour malgré l’espace et le temps, puisant, dans la séparation, le ferment du souvenir et dans l’adversité, l’émerveillement d’être passé un jour sur le chemin d’un tel sentiment. De l’avoir connu et d’en conserver la mémoire au cœur .

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MŒURS ET TRADITIONS

LA RELIGION

 

LE JUDAISME

Certains historiens prétendent que la présence des juifs dans le Maghreb remonte aux temps immémoriaux. De nombreuses tribus berbères furent judaïsées, la fameuse Kahéna en tête.

Chassé par l’inquisition médiévale de 1391, de grandes figures du judaïsme espagnol accostent sur les côtes d’Afrique du Nord, précédant de plus d’un siècle la grande inquisition de 1492 qui succède à la Reconquista. Parmi ces hommes érudits, porteurs de plusieurs sciences ardues telles la théologie, la médecine, l’astronomie, les mathématiques, la linguistique, Simon Ben Semah DURAN dit RASHBAZ et son maître Isaac ben Chechet Barfat dit RIBACH, réunifient le judaïsme du pays en proie à de nombreuses influences régionales dont les branches se détachaient peu à peu de l’arbre de vie israélite pour se maquiller de coutumes empruntées la mystique musulmane. RASHBAZ (1365-1444) rédige les Taqqanots, lois matrimoniales qui font autorité encore de nos jours auprès des communautés séfarades du bassin méditerranéen. A sa mort, cet homme pieux laisse une œuvre considérable, une grande lignée de rabbanim et de nombreux chefs de la Nation Israélite. Une descendance qui portera très haut le nom des DURAN dans le ciel du Judaïsme Algérien. Un mausolée abrite les deux saints, RIBACH et RASHBAZ, au cimetière de l’Esplanade où les membres de la communauté brûlent une bougie à chaque visite lors du jour de Roch Hoddesh. Ce mausolée, respecté par les musulmans qui honorent les saints du judaïsme comme leurs propres saints est malheureusement troublé en 1880 par le Génie qui transfère le cimetière de la porte Bab El Oued à Saint-Eugène. Après avoir regroupé les ossements des tombes civiles, les ouvriers s’attaquent à coups de pioches au mausolée mais sa résistance vient à bout des hommes et des outils qui se brisent comme des jouets.

Superstitieux comme tout musulman qui se respecte, les indigènes voient dans cette aventure une intervention divine et renoncent à l’entreprise. Des soldats français leur succèdent alors mais le même phénomène reproduisant les mêmes effets, les autorités déposent le mausolée dans sa totalité au cimetière de Saint-Eugène.

L’arrivée massive des « marranes » en 1492 peut faire croire à l’émancipation des juifs mais la prise d’Alger par les Ottomans force la communauté à se replier sur elle-même. La condition de « dhimmi » pour droit de vie et de pratique de la religion cantonne les israélites dans une prison à ciel ouvert, les privant de tout droit élémentaire. Interdiction leur est signifiée de porter les couleurs du drapeau turc, le noir leur est fortement recommandé, leur attitude se doit de ne pas faire de vagues, de s’effacer sur le passage d’un musulman, de ne sortir de la « hara », quartier réservé où la mortalité due à l’insalubrité est la plus forte, qu’accompagné d’un notable. Nommés par un comité des sages, trois Chefs de la Nation Israélite se voient confirmés ou infirmés par la Régence qui utilise les compétences des grands négociants de la communauté pour les finances, le commerce, les relations diplomatiques avec les consulats étrangers, le secrétariat et la traduction de nombreuses langues. Les BACRI et les DURAN figurent parmi les plus célèbres représentants de cette caste qui gagna le droit de s’habiller à l’européenne, les autres juifs ne portant que l’habit noir judéo-espagnol. La France conquérante porte l’espérance en un monde meilleur, en une émancipation sociale qui les positionnerait à égalité avec les musulmans. Ce qu’elle fit et amplifia grâce au concours de la communauté pour la compréhension de l’âme musulmane, de ses mœurs et coutumes, pour l’apport incontestable des notables qui se mirent au service de la France en de nombreux domaines tels le change des nombreuses monnaies du pays, la topographie des lieux, la météorologie, la traduction des consignes envers les musulmans et la parfaite connaissance du pays tant de fois sillonné lors de voyages commerciaux. 

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Les juifs sont les premiers habitants du souk Bab El Oued. Arrimée à la basse casbah, une fraction de la communauté est délogée par un plan d’urbanisation qui, certes, aère la vieille ville mais la défigure tout autant. Les rues de Chartres, de la Lyre, la rue Marengo, la place Randon qui deviendra Place du Grand Rabbin BLOCH après la mort de celui-ci, tué dans les Vosges le 29 août 1914 en portant un crucifix à un blessé chrétien agonisant. s’ouvrent à la civilisation.

La grande synagogue, l’une des plus anciennes d’Alger avec la " Hara " , le temple de la rue Volland, conserve toutefois ses fidèles, habitants de la haute et basse casbah, nostalgiques d’une époque, dépositaires de l’âme juive au cœur de la vieille ville barbaresque. 

 

Le judaïsme séfarade d’Algérie tente vainement de résister à la leçon de l’Alliance universelle Israélite qui juge d’un mauvais œil ce judaïsme archaïque, tonitruant, dont les Temples résonnent de prières exubérantes. Judaïsme issu des réflexions de grands Rabbanim tels MAÏMONIDE, NAMANIDE, RIBACH, RASHBAZ ou le RAB de Tlemcen considérés, à juste titre, comme des monuments de la pensée juive. L’assimilation religieuse tarde alors que la francisation se révèle immédiate, tout au moins dans les esprits. Les premiers enfants juifs délaissent l’école hébraïque afin de « tester » l’enseignement de la France. La peur de voir les nouvelles générations emboîter le pas de la France et rejeter la religion de leurs pères s’avère sans fondement. Les élèves s’acclimatent fort bien tout en conservant leur judaïté. Le pari est gagné. Le judaïsme d’Algérie s’inscrit, alors, dans l’Alliance Universelle Française. Le Consistoire Central englobe l’Algérie dès 1845. Les « milah », les Bar misvah, les mariages, conservent néanmoins le rite séfarade algérois et les synagogues de Bab El Oued résonnent des mêmes prières que celles d’antan.

Toutes voiles dehors, les juifs de la vieille ville se laissent, alors, porter par le vent de modernisme qui souffle sur Alger. Même si leur âme est orientale et viscéralement attachée à cette casbah qui parle encore de leur enfance, ils revêtent leur habit de lumière française le jour, se réservant le costume indigène pour les soirées parfumées d’autrefois. Bab El Oued accueille ces citoyens de seconde zone sous l’empire ottoman que le décret CREMIEUX naturalisera en 1870. Les grands rabbins du faubourg, Messieurs DADDOUCHE et KAMOUN, circoncissent pratiquement tous les mâles du quartier dans une ronde éternelle de la vie qui voit les enfants devenus pères assister à la « milah » de leurs propres fils.

Les Temples des rues Volland, Suffren et Dijon ouvrent leurs portes et leurs bras à une communauté qui prie à haute voix, sans se cacher des puissants et des sots.

La création de l’Alliance Israélite, du Consistoire, de l’O.R.T s’inscrivent dans le cadre de cette évolution.

 

Commentaires   

0 # fatmazohra 03-09-2018 16:14
Nostalgie et histoire qui se rencontrent, raconté d'une manière agréable à lire.
merci
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