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15 août 1944 - 2019 : il y a 75 ans le "Débarquement" de Provence

Qui sait que dans un des plus hauts lieux du christianisme, dédié à Marie Madeleine, une vingtaine de jeunes filles juives furent sauvées de la déportation par un Prêtre qui ne parla jamais?

Le 22 août 1944, à la suite du débarquement de Provence, les tirailleurs algériens et les tabors marocains libérèrent, à la Sainte Baume, près de Toulon, une vingtaine de jeunes filles juives des griffes des nazis.

En ces temps difficiles de tension entre les hommes, il est bon de rappeler aujourd’hui cette belle histoire qui montre que les hommes de bonne volonté peuvent se tendre la main.

Voici cette histoire : extrait du Livre "Et les enfants furent sauvés"-Editions Pascal 

IL FAUT CACHER LES ENFANTS

1942 : Partout en France, la chasse aux juifs s'intensifie.

Germaine Ribière, sur les directives du  Docteur Levy de l’OSE, beau père du regretté André Chouraqui, se rend à la Sainte-Baume et demande au Père Piprot d'Alleaume d'accueillir une vingtaine de jeunes filles juives, âgées de16 ans, la plupart d’origine étrangère, que l'on ne sait plus où cacher. C’est risqué !

La Sainte Baume est un lieu mythique. Marie Madeleine, une des disciples de Jésus, y aurait vécu une trentaine d’années, au début de l’ère chrétienne, après avoir été chassée de Judée par les Romains. Beaucoup de monde s’y rend régulièrement en pèlerinage. Au pied de cet endroit, sacré pour les chrétiens, se trouve une hôtellerie très réputée.

Hôtellerie de la Sainte Baume. Photo : Hervé Duclos, crédit : D.R.

Le Père Piprot d’Alleaume a une idée de génie, il décide de transformer l’hôtellerie en école hôtelière pour accueillir ces jeunes filles sous une fausse identité. Elles seront à l’abri et apprendront un métier. Personne ne saura rien, à part Soeur Xavier et Alice qui s’occupera des enfants.

En toute discrétion, le Père Piprot d'Alleaume se rend à Vichy. Philipe l'attend, il approuve vigoureusement cette initiative et lui promet même des fonds. Laval est présent lors de cette entrevue. Le Père expose son projet : créer une école hôtelière en vue de former les adolescentes de la région Marseille-Toulon. 

"ll va de soi, mon Père, que vous ne prendrez pas de juives" dit Laval, "Oh non, bien sûr que non".

Tout s'organise

A la fin de l’année 1942 les jeunes filles arrivent individuellement à Grenoble. Germaine Ribière confie à une amie, résistante Renée M…, la mission de les accompagner de Grenoble à la Sainte-Baume. Renée arrive donc à Grenoble la veille au soir. Elle demande aux jeunes filles de préparer leurs affaires.

Et c’est le départ en train le lendemain, de nuit, angoissant, épuisant. Renée est inquiète. Elle est obligée de prendre deux compartiments contigus, car il n’y a que huit places par wagon. Renée reste debout dans le couloir toute la nuit.

"Des soldats allemands passent et repassent, les petites, blêmes, ne bougent pas, ne parlent pas. Elles ne dorment pas de la nuit. A Marseille, elles prennent un nouveau car qui les transporte jusqu'à la Sainte-Baume où Le père Piprot d'Alleaume les reçoit avec Soeur Xavier et Alice leur future éducatrice, toutes deux dans la confidence".

A la Sainte-Baume

Le Père Piprot d’Alleaume, Sœur Xavier et Alice leur parlent avec beaucoup de gentillesse et de chaleur. Il faut les apprivoiser. Par sécurité, le Père Piprot d’Alleaume leur conseille d’assister à la messe du dimanche.

Les jours de pèlerinage, devant la forte affluence, les jeunes filles se doivent de servir à table. Du fait de leur accent, elles évitent de parler surtout lorsque des Allemands se trouvent parfois dans le réfectoire.

Pour maintenir la cohésion et l’harmonie au sein du groupe, Alice leur monitrice leur propose de jouer une pièce de théâtre pour le 15 août 1943 : "le miracle de l’enfant bavard" d’Henri Ghéon. Ainsi répètent-elles presque tous les jours. Et, le jour de la Sainte-Marie, les petites juives relèvent-elles le défi qu’elles se sont imposées. En plein air, dans une belle clairière, elles jouent devant un parterre de sœurs ébahies.

Renée Falco du réseau de résistance revient les voir, elle sert de guide à des résistants en transit. Elle réconforte et entoure avec affection ces jeunes juives si attachantes. C’est presque le bonheur à la Sainte-Baume, du moins en apparence.

Un jour, un journaliste marseillais vient visiter l’école, il est subjugué par ces jeunes filles si vives et enthousiastes. Il veut prendre des photos. Le Père Piprot d'Alleaume et Alice refusent. Mais les jeunes filles sont prêtes à poser. Le Père cède, mais craint d'attirer la suspicion.

Quelque temps plus tard, les jeunes filles reçoivent un journal avec en première page la photo d’Andrée, cette petite Polonaise aux cheveux roux qui a échappé par miracle à la mort dans le ghetto où elle a vécu : "LA NOUVELLE JEUNESSE DE FRANCE !" titre le magazine. Elles se sentent françaises.

Mais il y a des fuites… et  au début du mois d’août 1944, le Père Piprot d’Alleaume est convoqué à la Kommandantur. Il a été dénoncé.

"Nous savons tout, vous hébergez des juives !" lui dit-on à la Kommandantur.

Le Père se défend tant bien que mal. Il retourne à l’hôtellerie s’attendant au pire. Effectivement, une descente en force de la gestapo était prévue pour le 21 août.

Le DEBARQUEMENT


Le 15 août 1944, les alliés débarquent en Provence et le 21 août au matin, les abords de l’hôtellerie sont remplis de soldats alliés qui se sont déployés dans la nuit.

Les jeunes juives sont sauvées par les troupes militaires coloniales composées en grande partie de tabors marocains et de tirailleurs algériens.


Dans ce sanctuaire dédié à Marie Madeleine, ce fut un véritable miracle !
"Dans la nuit le Tabor (troupes militaires coloniales) avait reçu des GMC et des jeeps avec pour mission de rejoindre Cadolive en passant par le massif de Sainte Baume et Auriole. Le colonel de Colbert me confie 4 jeeps pour ouvrir la route du Tabor car il peut y avoir encore des allemands dans cette région. Aucun ennui sur toute la route. En arrivant devant le Monastère de la Sainte Baume, nous voyons les portes s’ouvrir et jaillir une ribambelle de jeunes filles hurlant leur joie d’être libérées.

Elles montent sur les genoux des goumiers (unités "d’auxiliaires indigènes") qui n’en demandaient pas tant et nous demandent de faire une petite promenade.

Après quelques tours sur la grande place, le Tabor arrivant, il a fallu nous séparer de toutes ces petites juives que les Bons Pères avaient cachées aux allemands." Témoignage de De Kérautem- Archives province dominicaine de Toulouse.

Pour en savoir plus

« Et les enfants furent sauvés » est un ouvrage broché de157 pages, publié le 10 avril 2008 aux Editions Pascal.

Médecin à l'OSE et Président d’honneur de l’association Morial, Didier Nebot nous raconte comment l'OSE organisa, en France, avec l'aide de chrétiens engagés le sauvetage d'enfants juifs.

http://www.editionspascal.com/f/index.php?sp=liv&livre_id=78