En souvenir de Colomb-Béchar
En souvenir de Colomb-Béchar
Comme d’un morceau d’histoire
D’un destin partagé
D’une France qui a oublié
Qu’à la porte du Sahara
Ses soldats et ses paras
Se sont battus et sacrifiés
Pour que notre drapeau flotte
Jusqu’au-dessus des grottes
Au vent de la liberté,
Celle qu’on doit aux légionnaires
Aux képis blancs légendaires
Qui, après chaque opération,
Venaient rue Lieutenant Ferrand
Ou à la sortie des écoles
Nous porter sur leurs épaules.
Colomb-Béchar est loin derrière
Enfouie dans nos mémoires,
Nous qu’on appelait pieds-noirs
L’avons gardée dans nos prières.
Ces reflets de notre communauté
Sont pour nous et nos familles
De toutes lignées de pères en filles
Un petit brin de cette fierté
D’avoir été dans ce désert
Parmi nos vaillants militaires,
Dans cette oasis d’éternité
Des artisans de cette France
Qui a bercé notre enfance
D’espoirs et d’amitiés.
Je pense à nos synagogues
Où s'apprenait le décalogue
Et chaque semaine la torah,
Sa Paracha, son Haftara,
Où se fêtaient des bar-mitsvas,
Avec l'odeur du vieux papier
Des livres saints de cuir reliés.
Quel Bécharien peut oublier
Sans risquer de se renier
La cuisine de ses parents
Où tout est fait maison,
Mouton gras et beaux pigeons
Le couscous et la loubia
Méchoui et calentica
Sans oublier la téhala,
Salade cuite et boulettes
Et les abats en brochettes,
Les tomates bien juteuses
Aussi rouges que pulpeuses,
Les pains ronds du Shabbat
Pétris dans une bonne pâte,
L'incontournable dafina
Dont on fait tout un plat
Qu'on va chercher au four banal
Comme on se rend au bal
Dans la chaleur de midi
Au milieu des marmites
Où aucune famille n'oublie
Son symbole de pâte cuite,
Car emporter le plat d'un autre
Serait offense à ses hôtes.
Voici pastèques et melons
Dont les graines décortiquées
Etaient un vrai passe-temps
Sur les trottoirs où s'alignaient
Nos sœurs et nos mamans
Et leurs jeunes enfants,
Les samedi après-midi
Pendant la sieste des maris,
En sirotant bruyamment
Du bon thé chaud à la menthe
Et parler abondamment
De la famille et de ventes,
Car le commerce faisait partie
De notre passé, de notre vie,
Ou papoter tout simplement
Des pluies rares et du beau temps,
Ou attendre qu’Isaac ficelle
Nous apporte les dernières nouvelles.
Ah ! Les bouquets de menthe fraîche
L'écorce des oranges qu'on sèche,
La coriandre et le cumin
Qui exhalent leurs parfums
A chaque repas ou festin,
Comme le vin et l'anisette
Servis chaque jour de fête
Et nos grosses gargoulettes
Où l'on conservait l'eau
A l'ombre des terrasses là-haut.
Et que dire des promenades
Des courses et des ballades
Dans les allées bordées
De roses, jasmin, palmiers
Des vacances à Oran
Et des plages du Cap Falcon
Des bancs publics du P'tit Vichy
Pour y rêver loin des soucis
Des séances de cinéma
Avec bonbons et chocolats
Des jeux de billes multicolores
Avec tirages au sort
Et de noyaux d'abricots
Dans de vieux sacs en tricot
De cow-boys et d'indiens
Place de l'église dimanche matin,
Où chacun s'amusait
A libérer des prisonniers,
Ou faire partie d’une bande
Qui mettait tous à l’amende.
Et toi place des chameaux,
Aux blanches arcades
Ils t'aimaient les coloniaux
Qui venaient par myriades
Acheter du beau bétail
Et des balles de coton,
En gros comme au détail
Toiles de jute et de nylon
Ou simplement flâner
Dans la poussière ocrée
Que le désert apportait
Dans ses vents chauds d'été,
Pendant que les tailleurs
Assemblaient des sarouals,
Des vareuses de tirailleurs
Et de belles robes en voile.
Qui oubliera les youyous endiablés
Que nos mères entonnaient,
Et leurs chants colorés
De tristesse, de gaieté
Au son des mandolines,
Des violons et derboukas,
De musiciens en chéchias
Et aux voix de praline.
La famille Benichou
Et ses prestigieuses lignées
De grands rabbins et penseurs
Juges éclairés et bienfaiteurs
Par ces lignes comprendra
Que les valeurs sont un tout
Et l’union notre destinée.
Je n'oublie pas les Benitah
Les Bensimon, Abihssira
Les Hayoun et Benayoun
Sans omettre les choukroun
Les Hazout et Benhamou
Les Assouline et les Abbou
Je crois aussi des Zenou
Les Amouyal et Benzekri
Les Aboukrat et Dubarry
Les Dahan et les Teboul
Les Benchetrit et les Melloul
Les Sebban et Azeroual
Les Amar et les Attal
Les Benaroche et les Atlan
Les Layani et les Nezri
Et bien sûr les Cohen et Lévy
Et le doyen Maman ici présent.
Que tous ces noms soient bénis
Comme leurs surnoms et quolibets
Si beaux reflets de leurs attraits.
Pardon pour ceux oubliés
Dans leur exquise diversité
Colomb-Béchar était un tout,
Ils sont maintenant partout
Dans une Europe mondialisée
Où leur mémoire s'est enlisée.
Ils sont nombreux en Amérique
Au Canada et même l'Afrique,
Comme en France et Israël
Où revivre n'est pas que miel.
Beaucoup sont au Paradis
Et ne méritent pas l'oubli.
Avec mon cœur de Bécharien
Et un inconsolable destin
Je prends plaisir à vous offrir
Ces tranches de souvenirs,
D’une enfance partagée
Dans l’insouciance et la gaieté
Béchar si loin à l’horizon
Mérite une place dans notre présent.
A nos familles de là-bas,
De belles pages de Jacob Oliel
Comme un rayon de soleil,
Un coin de notre Saoura
Où, entre palmiers et siroccos
Se raconte une belle histoire
Faite de douloureuses mémoires
De petit lait, dattes et gâteaux,
De juifs, arabes et chrétiens
Qui se sont donné la main
Jusqu’à lier leurs destins,
Et que les dunes ont engloutis
Dans l’amour comme dans l’oubli.
Restons les gardiens de cette mémoire
Nous, anciens de Colomb-Béchar,
Nous sommes les fruits d’une sagesse
Forgée dans le labeur et l’allégresse,
Dans les legs de nos parents,
Dans notre chair et notre sang.
William-Israël Benichou, Né à Colomb-Béchar
Je dédie ce poème à tous les juifs de Colomb-Béchar ainsi qu’à leurs enfants et petits-enfants.
A celles et ceux de mes compatriotes avec lesquels j’ai eu le bonheur de partager la journée du dimanche 20 mars 2016 autour d'un déjeuner typiquement bécharien, je veux redire mon émotion et le plaisir de les avoir retrouvés, pour beaucoup d'entre eux après quelques décennies, notamment des membres de la famille Benichou.
Et je tiens à rendre hommage à la Communauté Israélite de Villeurbanne, à son président et aux organisateurs, qui ont su si opportunément créer les conditions de cette rencontre autour du judaïsme de Colomb- Béchar. Nous avons eu là une nouvelle démonstration de la vitalité de cette communauté qui a su créer du lien en rassemblant, dans une salle située au-dessus de la synagogue, près de cent cinquante membres de la communauté juive Bécharienne élargie. venant , pour beaucoup d'entre eux , de loin.
C'est également l'occasion d'adresser tous mes remerciements et mes félicitations aux différents intervenants qui ont contribué, par leurs témoignages et l'exposé de leurs recherches sur les communautés juives d'Algérie et de Colomb-Béchar, à nourrir et raffermir ce qui doit désormais être partagé et protégé comme une précieuse mémoire commune.
Je voudrais aussi saluer l'excellente prestation du groupe de musique orientale qui a clôturé cette rencontre , à travers un répertoire de chansons dignes de nos grandes fêtes juives béchariennes,
Je suis fier d’avoir pu prononcer quelques paroles introductives de réconfort et de bienvenue en judéo-arabe, avant la lecture de mon poème, car il s’agit d’un élément fort de notre patrimoine linguistique commun que nous devons tous capitaliser et entretenir .
Ce poème, que j’ai eu grand plaisir à composer, se veut, par-delà ses résonances nostalgiques, ouvert comme une fenêtre sur la vie et les générations à venir, à construire, en n’oubliant jamais d’où nous venons, notre identité, c'est à dire nos racines, notre culture, nos traditions, les enseignements du passé et les valeurs transmises par nos parents, pour accompagner nos enfants et petits enfants sur le chemin de la vie.
Je vous confie ces vers avec la musique, les couleurs et les saveurs qu’ils peuvent susciter en vous et vous invite à les partager en souhaitant qu’ils puissent faire revivre des souvenirs et émotions de notre chère ville de Colomb-Béchar, où étaient venus s'établir parents et grands-parents voilà plus d'un siècle, cette ville-oasis et garnison militaire qui nous a vus naître, qui a bercé notre enfance et notre adolescence et que nous avons dû, un jour, quitter…
William-Israël Benichou
Mars 2016