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Par Didier Nebot

Pourquoi un tel déni de la part de certains d’une importante présence juive dans les temps très anciens en Afrique du Nord ?

Il est possible d’expliquer ce qui a conduit à de tels avis.

Lorsque la France, à partir de 1830, a occupé l’Afrique du Nord, les historiens ont eu la surprise d’y découvrir de nombreuses traces d’une forte empreinte juive. Ils se sont rendu compte que la langue des Carthaginois, anciens maîtres des lieux, c’est-à-dire le punique, était proche de l’hébreu.

En traduisant des auteurs arabes, ils ont constaté que plusieurs tribus berbères, et non des moindres, avaient autrefois pratiqué le judaïsme. Ils ont découvert dans les oasis algériennes des populations nomades juives islamisées, vivant là depuis l’Antiquité. Ils ont constaté que la vénération, par de nombreux autochtones, de "saints" manifestement juifs datait de l’époque antéislamique. Surpris par de telles découvertes, ces historiens ont fait de cette terra incognito une zone juive, non seulement ethniquement, mais aussi culturellement. Leurs conclusions étaient certainement excessives.

Elles ont entraîné logiquement, au siècle suivant, une réaction contraire, niant toute influence juive d’importance en terres musulmanes, et, elle aussi, manifestement erronée. Mais, en pleine décolonisation, on se devait de rejeter toute idée formulée par des auteurs français, si prestigieux fussent-ils, et l’on estimait que ces Européens ne pouvaient interpréter qu’avec partialité l’histoire des pays maghrébins ; leurs thèses ne pouvaient être qu’empreintes de considérations négatives à l’égard des autochtones, que l’on avait humiliés et spoliés durant un siècle et demi. Et c’est avec suspicion que ces travaux furent regardés et même souvent rejetés.

Un autre élément, encore plus fort peut-être, entraîna les berbérophones à refuser d’admettre ces faits : le Maghreb musulman ne pouvait concevoir d’avoir subi une influence juive, même si ses habitants descendaient, eux aussi, d’Abraham.

C’est pourquoi certains auteurs modernes dédaignèrent des sources importantes, sous prétexte qu’elles faisaient la part trop belle au judaïsme. Ils ne prirent même pas la peine de lire l’argumentation de leurs adversaires, ne serait-ce que pour la réfuter.

Lorsqu’on examine la bibliographie de ces auteurs, on est frappé de constater qu’ils citent presque exclusivement les sources littéraires prônant le même point de vue que le leur. Ils ne font que très peu référence aux dires d’Ibn Khaldoun, pourtant impliqué et présent sur le terrain, même si c’était plusieurs siècles après que les évènements se soient passés, ni même d’auteurs arabes plus anciens qui font part la part belle à cette force présence juive en Afrique du nord. Ils ne se sont même pas demandés ce qu’il était advenu de ces juifs forts nombreux qui avaient été chassés de la Cyrénaïque vers les steppes présahariennes. Pourtant il faut bien qu’ils se soient retrouvés quelque part.

Un autre exemple, dans certaines zones, où vivaient les tribus juives décrites par Ibn Khaldoun et où la présence punique a été inexistante, on trouve des nécropoles façon punique ou juive (ils avaient la même façon d’enterrer leurs morts) différentes de la façon berbère païenne d’enterrer leurs morts. Là aussi, cela n’a pas interpellé ces historiens berbérophones.

Dans le Maghreb actuel il n’y a plus de juifs et ils ne sont plus sur place pour rechercher leur racine. Leur étude sur leur passé ne peut être qu’incomplète, indirecte ou imparfaite. Comment leurs travaux pourraient-ils servir de référence auprès des berbérophones ou des arabophones qui nient toute influence juive en Afrique du Nord.

Pour ma part, je dois admettre que, si l’on étudie scrupuleusement les écrits les plus significatifs publiés sur le sujet, si l’on imagine ce qu’a pu être la vie en ces époques lointaines, on en arrive à la conclusion que l’influence et la présence juive, entre le Ier et le VIIème siècle, a été relativement importante dans ces contrées.

Il semble donc intéressant et utile d’expliquer comment des gens originaires de Judée et surtout de Cyrénaïque, élément que beaucoup ignore, sont arrivés en Afrique du Nord ; comment ils ont vécu sous le joug de l’Empire romain ; comment ils ont retrouvé une certaine liberté lors de l’occupation vandale ; et comment, en leur inculquant un certain monothéisme sémitique, ils ont contribué à l’avènement de l’islam parmi les Berbères païens.