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 Buste de Ptolémée Ier Soter, roi d'Égypte (305 av. J.-C.-282 av. J.-C.) et fondateur de la dynastie ptolémaïque. Buste de Ptolémée Ier Soter, roi d'Égypte (305 av. J.-C.-282 av. J.-C.) et fondateur de la dynastie ptolémaïque.

 

    LES JUIFS EN CYRENAÏQUE

 

                    Par

 

             DIDIER NEBOT

 

 

 


 

Buste de Ptolémée Ier Soter, roi d'Égypte
(305 av. J.-C.-282 av. J.-C.)
et fondateur de la dynastie ptolémaïque

Tout ce qui vient d’être évoqué concerne des territoires d’accès aisé, contrôlés par Rome, occupés par les tribus sédentaires, à vocation agricole pour la plupart d’entre elles, et où les différents protagonistes ont laissé suffisamment de traces écrites pour qu’on puisse reconstituer leur histoire.

En revanche, presque rien n’a été dit quant aux zones situées en dehors des "limes romains", c’est-à-dire celles du Sud, près du Sahara et des steppes arides, où vécurent de nombreuses tribus nomades qui se déplaçaient sans cesse et venaient tout juste de découvrir le chameau. Pourtant, ces tribus eurent une grande importance dans l’histoire de l’Afrique du Nord, surtout lorsqu’elles se rebellèrent contre les Arabes, la Kahéna à leur tête. Pour mieux comprendre ces événements, il faut revenir en arrière.

La Cyrénaïque est une région qui joua un rôle fondamental dans les événements qui secouèrent, dans l’Antiquité, l’Afrique du Nord. C’était l’une des deux grandes provinces de la Libye actuelle, située à l’est de la Tripolitaine, toute proche de la frontière égyptienne. Elle avait été fondée vers 630 av. J.-C. par des colons grecs venus de Théra.

La Cyrénaïque forma avec l’Egypte une entité commune sous influence hellénique qui resta pendant longtemps hors de la zone d’influence romaine.

C’était dans ce contexte que de puissantes colonies juives se développèrent dans ces régions.

Des papyrus d’origine juive, traduits par Israël Lévi, (revue des études juives 1907, t.LIV), montrent la présence de nombreux Israélites dès -471 avant J.C., du temps de Xerxès, dans la ville de Syène (Assouan) et dans l’île d’Eléphantine.

Il s’agissait de colonies apparemment guerrières qui prêtaient main forte aux Perses, alors maîtres du pays. Leur judaïsme semble assez primitif et l’adoration du Dieu unique de leurs ancêtres n’empêche pas l’évocation de divinités égyptiennes, ainsi qu’on le découvre dans les textes traduits par Israël Levi.

Plus tard, en -331 av. J.-C., l’Égypte et la Cyrénaïque furent conquises par Alexandre le Grand. Les cinq plus grandes villes de la Cyrénaïque s’unirent et fondèrent une fédération appelée la Pentapole. Il s’agit de Cyrène, appelée aussi l’« Athènes africaine », de Bérénice, d’Appolonia, de Ptolémaïs et d’Arsinoé. Ces cinq cités, de langue et de culture grecque, formèrent un tout avec l’Égypte, se différenciant notablement du reste de l’Afrique du Nord qui était alors sous contrôle ou influence phénicienne.

Onze années plus tard, en -320 av. J.-C., le successeur d’Alexandre, Ptolémée Soter, grec et fondateur de la dynastie des Lagides, envahit la Palestine. Il arriva à Jérusalem le jour du Sabbat et profita de ce que les juifs, en ce jour de repos, ne prenaient pas les armes pour asseoir sa victoire.

Comme le dit Flavius Josèphe, (Contre Appion, II, 4), il emmena avec lui en Egypte près de 100 000 juifs, tant des villes que des montagnes.

Rapidement, Ptolémée apprécia les qualités de ces captifs, il leur confia la garde de diverses places fortes et leur donna le droit de bourgeoisie dans Alexandrie.

Son fils, Ptolémée Philadelphe, les affranchit, les intégrant dans l’armée, l’administration, et leur confiant la défense des forteresses grecques. Puis il les envoya dans la Cyrénaïque toute proche, dans le but de la contrôler. (Les Lagides, d’origine étrangère, préféraient s’entourer de juifs plutôt que d’autochtones dont ils se méfiaient.)

Cette tolérance et cette prospérité attirèrent un flot ininterrompu d’immigrants originaires de Judée (Flavius Josèphe, Antiquités jud., XII). Les juifs prirent une importance politique et sociale considérable. Dans les villes grecques de la Pentapole cyrénéenne, les juifs jouissaient des mêmes droits que leurs concitoyens grecs. Un nouveau judaïsme était en train de naître dans cette région, se rapprochant de la vie et des mœurs grecs.

Bientôt deux des cinq quartiers principaux d’Alexandrie furent entièrement occupés par les Hébreux, également la Cyrénaïque, avec sa végétation et son climat très favorables rappelant ceux des îles méditerranéennes, fut en grande partie peuplée par les juifs.

Flavius Josèphe (Antiquités, IV, 72) estime à 500 000 leur nombre en Cyrénaïque au début de l’ère chrétienne. Mommsen et Marquardt (Antiquités romaines, IX, 423) dirent qu’ils formèrent une grande partie de la population de la Cyrénaïque. Strabon d’Amasée, au début de l’ère chrétienne, (Géographie,livre XVII, l’Egypte et la Lybie), parle de l’importance de la colonie juive de la Cyrénaïque : « Il y a en Cyrénaïque quatre classes distinctes dans la population. Les citoyens (les Grecs), les paysans, les métèques (les étrangers) et les juifs... Ces derniers ont pénétré dans tous les États...

La Cyrénaïque soumise aux mêmes maîtres que l’Égypte a copié sa voisine à beaucoup d’égards : en particulier dans son attitude envers les colonies juives qui s’y sont multipliées. Elles suivent librement leurs lois nationales et jouissent des mêmes droits que les Grecs et les Macédoniens. 

D’autres textes – aussi bien les Évangiles que l’Ancien Testament, ou ceux d’auteurs latins – soulignent l’importance numérique et le rôle des juifs de Cyrénaïque.

Ainsi il est possible d’affirmer que, avant l’occupation romaine, en Cyrénaïque et à un moindre degré en Égypte, la population juive était très nombreuse, voire peut-être majoritaire. En tout état de cause, les juiveries de ces régions étaient puissantes, libres, turbulentes, habituées au maniement des armes, et de culture hellénistique. S’ils s’inspiraient de la Grèce tant sur le plan de la langue et de la pensée que dans leur organisation communautaire, les juifs devaient aussi parler l’hébreu.

Une inscription fort instructive trouvée dans la ville de Bérénice, datant de l’an 14 av. J.-C., montre que, dans chaque ville de la Pentapole, les Hébreux étaient représentés par neuf archontes et un ethnarque. Un chapitre du recueil prophétique d’Isaïe, concernant les colonies juives de la Pentapole, ne laisse aucun doute sur ce point : « En ce jour-là il y aura cinq villes dans le pays de Mitzraïm qui parleront la langue de Canaan. En ce jour-là il y aura un autel à l’Éternel au milieu du pays de l’Égypte et un monument dressé à l’Éternel sur sa frontière. Selon la Bible, la Libye a été fondée par Put, fils de Mitzraïm, et les Égyptiens sont les alliés constants des Libyens.

L’autel à l’Éternel ne peut concerner que le temple d’Onias IV à Léontopolis, en Égypte. Quant aux cinq villes parlant la langue de Canaan, c’est-à-dire l’hébreu ou le punique, il s’agit des cités de la Pentapole en étroite communion avec l’Égypte.