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Par Didier Nebot

PRESENCE JUIVE EN AFRIQUE DU NORD AUX PREMIERS SIECLES DE L'ERE CHRETIENNE :

En 96 av. J.-C., Ptolémée Apion céda par testament la Cyrénaïque et l’Égypte au peuple romain. La romanisation se fit graduellement et les juifs conservèrent dans un premier temps les mêmes droits civiques et politiques que sous les Lagides.

Ils acceptèrent la domination romaine et leurs rapports avec l’Empire ne posèrent d’abord pas de problèmes. Cette "Pax romana" dura jusqu’à la destruction du Temple de Jérusalem en 70 après J. C., malgré deux soulèvement sans réelle importance en 86 avant J.C. et en 66 apr. J.-C., du temps de Flavius Josèphe, qui furent vite réprimés.

A partir de ce moment tout changea. La perte de l’indépendance juive, les révoltes successives de Judée, les guerres d’exterminations qui suivirent eurent d’importantes répercussions partout où se trouvaient les enfants d’Israël et plus particulièrement en Egypte et en Cyrénaïque où ils devaient représenter peut-être plus d’un million d’individus. Des milliers de réfugiés de Judée plein de rancœur et de haine à l’encontre des Romains arrivèrent. Il s’agissait bien souvent de Zélotes, ces extrémistes fanatiques, ne rêvant que de revanche. Inquiète, l’aristocratie juive d’Alexandrie et de Cyrène qui vivait là depuis très longtemps ne voyait pas d’un bon œil cette arrivée massive de réfugiés. Elle demeurait fidèle à Rome et avec leurs idées subversives, ces nouveaux venus pouvaient leur nuire considérablement. Il y eut plusieurs tentatives de soulèvements et les meneurs, le plus souvent des Zélotes, furent dénoncés aux autorités romaines par les juifs les plus distingués de la ville. Voici ce que dit Flavius Josephe (la guerre des juifs VII, 36) à ce propos :

« Les plus distingués de la ville et de la nation juive, demeurés fidèles aux romains assemblèrent les autres juifs leur montrant jusqu’où allaient la folie et la fureur de ces factieux, qui étaient la cause de tous leurs maux. Les romains s’ils apprenaient leurs mauvais desseins se vengeraient sur la nation juive et feraient mourir les innocents avec les coupables. Aussi les livrèrent-ils aux Romains pour les punir comme ils le méritaient. »

Mais le mal était fait et le gouvernement impérial cessa de voir les juifs comme ses alliés et se mit à les maltraiter, sans faire de distinction parmi les « bons » ou « mauvais » juifs et en mettant dans le même sac les populations libyennes païennes qui judaïsaient peu ou prou. Pour couronner le tout, les relations avec les Grecs vivant dans la Pentapole devinrent elles aussi mauvaises, ces derniers, jaloux de la réussite des juifs, les considéraient comme des barbares et des incultes.

Alors tous quittèrent le camp des romains et se rapprochèrent des Zélotes qui firent beaucoup d’émules. L’effervescence était à son comble dans ces juiveries, les plus guerrières et les plus fanatiques de toute la diaspora. On ne rêvait que de revanche. Toutes les conditions étaient réunies pour que le drame éclate.

En 115 eut lieu le conflit le plus sanglant que connut cette région.

De nombreux auteurs de l’Antiquité en ont parlé. Il s’agit de Dion Cassius (contemporain de Septime Sévère), d’Eusèbe (histoire ecclésiastique), de Barhebraeus (chronique), de Spartien, d’Hadrien. Voir aussi le Talmud de Babylone (soucca, midrasch threni, guittin).

Tout semble avoir commencé à Rome où Plotine, l’épouse de l’empereur Trajan, perdit l’enfant qu’elle venait de mettre au monde. Elle accusa un groupe de Judéens de passage à Rome de lui avoir jeté un mauvais sort et supplia son époux de les châtier. Ce dernier l’écouta, et fit jeter les malheureux aux lions malgré leurs protestations d’innocence.

La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre aux quatre coins du monde, mettant en émoi toutes les communautés juives de l’Empire romain. Ivres de colère, elles réagirent brutalement en Judée, en Babylonie, en Égypte et à Chypre, sans conséquences majeures. Mais il en alla tout autrement en Cyrénaïque, car la région, en perpétuelle effervescence, n’attendait qu’un prétexte pour se soulever. Les juifs, aidés des autochtones libyens, prirent les armes contre les Romains. Devant la violence de ces attaques, ces derniers ne purent tenir et leur chef, Lupus, battit en retraite avec son armée jusqu’en Égypte, abandonnant le terrain aux juifs galvanisés par la victoire. Ceux-ci nommèrent un chef, dénommé Lucuas.

Après la débâcle, le général romain Lupus rejoignit Alexandrie avec sa garnison et là, avec l’aide des Grecs et quelques troupes restées fidèles à l’Empire, il exécuta de nombreux Judéens. Les juifs de Cyrénaïque se vengèrent à leur tour sur leurs voisins grecs et en tuèrent plus de 200 000 (Chiffre donné par les sources anciennes peut-être exagéré) avec cruauté.

Ses ennemis de l’intérieur éliminés, l’armée hébraïque et ses alliés libyens marchèrent sur Alexandrie. Ils défirent les soldats de l’Empire, le procurateur Appuys ne devant son salut qu’en fuyant d’extrême justesse sur un navire.

Les juifs tinrent donc la Cyrénaïque, l’Égypte et Chypre pendant trois ans (115-118). On ne sait que fort peu de chose de cette période. Se montrèrent-ils incapables de gérer leurs victoires ? N’avaient-ils pas présumé de leurs forces ? L’Empire chargea Marcius Turbo, un prince maure à la solde de Rome, de reconquérir le pays. Il n’attaqua pas de front, préférant agir méthodiquement et sans se hâter. Les troupes mises à sa disposition étaient imposantes. Il reprit d’abord l’Égypte, puis Chypre, et ensuite seulement s’attaqua à la Cyrénaïque. La répression fut atroce. Les rebelles furent tués ou chassés sans pitié. Il y eut des dizaines de milliers de morts. Pour empêcher les fugitifs de revenir, le pays fut entièrement ravagé et transformé en véritable désert, ce qui rendit toute vie impossible pendant des décennies. Dans le voyage d’étude qu’il fit dans cette région au XIXème siècle, Slouschz parle des vestiges de vieilles synagogues datant vraisemblablement de cette époque. Étaient touchés non seulement les juifs, mais aussi les autochtones. Un passage du Talmud de Babylone (Sanhédrin 94a) indique que, sous Trajan, les rebelles judéens chassés de Cyrénaïque côtoyaient l’Égypte, les berbis (Berbères) et la Libye