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 Par Didier NEBOT

Statue de Dyhia à Khenchela (Algérie)

Comme nous l’avons déjà cité plus haut, voilà ce que disait Ibn Khaldound dans sa célèbre Histoire des Berbères et des dynasties musulmanes de l’Afrique :

"Une partie des Berbères professait le judaïsme. Parmi leurs chefs les plus puissants, on remarqua surtout la Kahéna, reine du Mont-Aurès, et dont le vrai nom était Dahia, fille de Tabet, fils de Nicin. Sa famille faisait partie des Djéraoua, tribu qui fournissait des rois et des chefs à tous les Berbères descendus d’El-Abter." Malgré le témoignage unanime des auteurs arabes, certains doutent encore, car malheureusement la politique est passée par là.

Si l’on devait suivre les conclusions de ces auteurs, il faudrait se demander où sont passés les nombreux descendants de ces juifs chassés de Cyrénaïque en l’an 118 par les romains qui étaient hors des "limes romains", il faut bien qu’ils se soient retrouvés quelque part, ils ne peuvent pas s’être volatilisés ! Comme il n’y a eut ni extermination, ni exode massif, la conclusion s’impose d’elle-même.

 

D’ailleurs les traditions locales juives concernant la Kahéna[1] sont trop nombreuses dans cette région pour n’être pas vraies ; le nom même de cette Berbère signifie en punique « la prophétesse » et, en hébreu, « fille de Cohen ». Un élément intéressant de source arabe va dans le sens de ce qui vient d’être dit. Si en français on prononce Kahéna, en arabe on prononce Kahina. Or dans le Coran il est fait allusion aux luttes de Mahomet contre les deux tribus juives des Qoreiza et des Nadhir, appelés par les arabes : « Al-Kahinan ». Kahin étant les prêtres pour les arabes de l’époque et Kahina le féminin de Kahin. L’historien juif Maxime Rodinson, très pro arabe, communiste et antisioniste, déclare pourtant dans sa célèbre étude sur Mahomet parue au Seuil en 1961 :

' Kahin, devin ou prêtre chez les arabes avant l’Islam, dont le nom est étymologiquement le même que celui de Kohen, prêtre chez les juifs.'

Ainsi les troupes arabes arrivant en Ifrikia nommèrent-elles ces tribus juives des Aurès 'Kahinan' par analogie avec les tribus juives d’Arabie qu’elles appelaient aussi « Kahinan ». Ces tribus juives ayant une reine qui s’appelait Dyhia, Dayia ou Dina selon la prononciation, c’est le nom de « Kahina » qu’ils utilisèrent pour la désigner. En effet dans le contexte de l’époque, eux qui venaient de battre les tribus juives d’Arabie, trouvaient tout naturel d’appeler du même nom ces tribus des Aurès qui étaient elles aussi juives.  .

Slouschz indique aussi que le nom Djéraoua dérive de l’hébreu guerr, signifiant aujourd’hui le converti mais aussi à cette époque « celui qui vit sur une terre étrangère ». C’est ce sens qu’il faut comprendre. D’ailleurs dans le texte de la genèse, voila ce que dit  l’Eternel à Abraham sur les Hébreux qui ne sont pas sur la Terre Promise : « Sache que tes descendants seront étrangers, des « Guerr » dans un pays qui ne sera point à eux. Le mot « Guerr » s’est aussi appliqué aux hébreux lorsqu’ils étaient en Egypte. Il s’applique donc en Afrique, tout à fait, aux juifs qui sont sur une terre étrangère, des « Guerr », ce mot avec l’adoucissement de l’arabe devient « Djer ». Ainsi faudrait-il comprendre le nom Djéraoua, qui constituerait également une preuve de la judéité de cette tribu berbère. On peut aussi rappeler ici que le premier ancêtre de la Kahéna s’appelle « Guerra », racine hébraïque là aussi du mot « Guerr ».

À cela s’ajoute la découverte en 1884 par M. Fallot, dans la vallée de l’oued el-Abiod, près d’El-Hammam, de très anciennes ruines berbères qui auraient été vraisemblablement le dernier refuge de la Kahéna. Il s’agit d’un vaste camp retranché, d’une citadelle, qui se trouve au Kef Necera. Selon les traditions locales, que l’on pouvait recueillir à cette époque et qui ont été consignées par Fallot et reprise par Lartigues, lorsque les Arabes pénétrèrent pour la première fois dans la région, vivait là une femme juive, qui était le chef des tribus d’alentour. Il ne peut s’agir que de la Kahéna.

 


[1] Plusieurs sources au xixe siècle évoquent une population juive nomade, connue sous le nom de Yehoud-el-Arab, ou Bahouzim, mot qui dériverait de l’hébreu et signifie « celui qui arrive du dehors » (par opposition au judaïsme officiel). Ces Bahouzim étaient des juifs primitifs, ignorant l’hébreu, qui, pour certains, avaient vaguement notion d’une héroïne juive ayant vécu dans cette région fort longtemps. Il existe aussi une vieille complainte narrant les exactions de la Kahéna contre son peuple alors que tout était perdu : « Cette maudite, féroce plus que tout autre, qui livra nos vierges à ses soldats et trempa ses pieds dans le sang de nos enfants. »