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C'est à la demande de Colette WEINSTEIN, que j'évoque mon départ, dans cette soixantième année d'après. Je forme le vœu que le maximum de lecteurs témoigne aussi. L'association MORIAL pourrait faire un recueil de nos témoignages

Quand le 1er novembre 1954, survinrent les premiers assassinats commis par les rebelles, qui se nommèrent eux-mêmes "fellaghas" (mauvais travailleurs, en arabe local), je n'étais qu'un petit garçon de sept ans et demi. Je n'avais encore qu'un frère cadet et une petite sœur. Mes parents z'l. (Contraction de זיכונו ליברכה, de souvenir béni, ou laherhmo comme on disait là-bas) n'étaient plus tout jeunes, car ils s'étaient mariés tard, à cause de la guerre.

Nous habitions au numéro 84, de l'avenue Malakoff. Du pied de l'immeuble, jusqu'au stade Marcel Cerdan, s'étirait le square Ricôme, "le jardin", comme les enfants du quartier l'appelaient, entre l'avenue Malakoff et le boulevard Pitolet.

J'y jouais parfois avec Jean-Paul DURAN, celui qui œuvre pour la dignité de nos disparus enterrés au cimetière juif de St Eugène.

 

Presqu'en face de la cité de la Consolation, l'appartement donnait d'un côté, sur la basilique Notre-Dame d'Afrique, et de l'autre, au-dessus de "l'Eden Plage", sur la magnifique baie d'Alger. Nous pouvions voir jusqu'au cap Matifou. Les matins d'automne, j'aimais contempler le ciel coloré du panorama grandiose où se dressait, très au-delà de la baie, le Djurdjura, souvent enneigé. L'insécurité causée sur les routes du pays par les rebelles, altéra l'activité de mon père. Il faisait de la "grande remise", pour de riches touristes visitant l'Algérie, et l'Afrique du Nord, qu'il connaissait très bien. Il se contenta d'être taxi à Alger. Comme la majorité des femmes de l'époque, ma mère s'occupait de ses enfants et de la maison.

 

 J'étais donc en CE1, à l'école Sigwalt, rue des Lavandières, à Bab-el-oued. L'école était mitoyenne à la synagogue de la rue de Dijon, le "temple LEBAR". Officiellement, la "guerre d'Indochine", venait de finir.

J'ai encore en mémoire la réflexion, de la mère d'un camarade qui me raccompagnait de l'école en même temps que ses enfants : "Encore un Juif qui trahit la France", à propos de P. MENDES-FRANCE, président du conseil d'alors.

Pourtant, au quotidien, ce genre de préjugés antisémites n'altéraient pas beaucoup nos relations. J'y étais quand même sensibilisé, par les récits de mon père z'l, qui nous racontait l'incendie du modeste commerce de mon grand-père, par des émeutiers d'extrême droite. Ma mère aussi parlait des collabos antijuifs, qui sévirent à Sétif, avant, pendant et même juste après la guerre. Plus tard, mon beau-père me raconta comment il fit ses études de pharmacien à Toulouse, parce qu'à Alger, les étudiants juifs étaient presque toujours recalés. Une unique fois,  je me suis bagarré avec un taré antijuif, dans le stade voisin de St Eugène. J'ai aussi entendu les propos vengeurs d'un intoxiqué au nazisme, de ma classe à Bugeaud, lors de la pendaison du déchet nazi en Israël, en mai 1962.

Au lycée Bugeaud, j'eus aussi pour camarade de classe Alain VIRCONDELET, célèbre biographe d'Albert Camus. Je lisais ses écrits ici, ou là. Je l'ai vu plusieurs fois à la télévision, mais depuis le lycée, je ne l'avais jamais rencontré. Or en février 2020, il donna à Paris, pour Morial, une conférence "Camus fils d'Alger". J'y assistai. Bien sûr, je l'ai rencontré. Et à la fin pour conclure, il m'a dédicacé la soirée. J'en fus très touché. Surtout que j'avais rappelé mon premier prix de rédaction.

Aujourd'hui, je témoigne : du début à la fin, "les évènements" n'eurent pas d'effets, du moins en ce qui me concerne, sur nos relations avec les jeunes musulmans de notre entourage. Que ce soit nos camarades de classes, ou les gosses du quartier. Il nous arrivait de nous bagarrer. Mais nous évitions d'en parler. Chacun, acceptant tacitement, que les musulmans soutiennent les indépendantistes et vice-versa, que les non musulmans soient pour l'Algérie française. Bien sûr je ne parle que pour ma tranche d'âge de l'époque. Pour le reste, quand entre gosses, fusaient des insultes "racistes", ce n'étaient vraiment, que des trucs de gosses.

Je signale quand même une exception, un voisin d'en face, une graine de virulent déchet nazislamiste, ouvertement antijuif, comme sa famille d'ailleurs. C'est exactement à cause de ce genre "d'individus", que nous avons fui. Ils incarnaient déjà, le fanatisme hégémonique musulman, et ce fanatisme-là, nos parents le connaissaient et ils nous en parlaient aussi. J'insiste, car sur cette période, la plupart des évocations juives "publiques" minimisent l'antisémitisme d'une partie des musulmans, tout en insistant sur l'antisémitisme du reste des Pieds-Noirs. J'ai bien compris que la génération précédente a souffert de l'antisémitisme "Pieds-Noirs", mais j'affirme que pour ma génération, ce ne fut pas le cas. A contrario, nous craignions davantage l'antisémitisme musulman.

En 1956, la fameuse "l'opération de Suez", contre le prétentieux NASSER, nous fit plaisir. Jusqu'en 1957, les "évènements" ne suscitèrent, chez nous, qu'une sourde inquiétude. A Alger, je ne vis qu'une seule manifestation musulmane. Ce fut à la sortie d'un match de foot entre l'ASSE et le MCA, (Mouloudia Club Algérois). Il n'y eu que de légers dégâts matériels. Mais après l'attentat sanglant au Casino de la Corniche, ce fut la première "ratonnade", à la sortie du cimetière voisin. Mon frère cadet fit des cauchemars, en revoyant un malheureux musulman de passage, précipité sur les rochers, depuis le parapet du boulevard.

Au printemps 1957, les évènements frappèrent directement ma mère. Un déchet assassina son frère ainé, dans son magasin, à Sétif. Il laissait une veuve sans ressource et quatre jeunes orphelins. A l'époque, le chef du GPRA, donc le chef de la rébellion, Fehat ABBAS, était encore pharmacien à Sétif. Il avait accepté, sans doute pas cet acte précis, le terrorisme, comme moyen de revendication. Le soutien des musulmans d'Algérie aux "fédayins", comme on appelait alors, les déchets nazislamistes nuisant en Israël, acheva de faire des "évènements", une guerre de religion, du moins pour la plupart des Juifs de mon entourage.

 

Dès lors, nous ne comprenions plus les Juifs qui n'étaient pas pour l'Algérie française et contre la rébellion. Il n'y a pas longtemps, j'ai appris, que la sœur aînée de ma mère était communiste. Pourtant, je l'ai toujours connue "Algérie française". Parmi les Juifs favorables à l'indépendance, ma mère parlait des SZAFRAN de sa Sétif natale, famille d'un des rédacteurs de Marianne. Plus proche, notre voisine de palier, veuve constantinoise, faisait la causette avec ma mère, presque tous les jours, nos vérandas étant adjacentes. Sans approuver le terrorisme, cette voisine comprenait les indépendantistes. Elle pensait, dès le début qu'ils l'emporteraient. Mais elle se trompait en disant qu'en tant que Juifs, nous ne serions pas concernés.

C'était la tante d'un Algérois célèbre : Jacques ATTALI. Il est de ces Juifs d'Algérie, qui minimisent l'hégémonisme musulman. L'interviewant pour Israël Magazine, je lui racontai que selon ma mère, nous étions frères de lait. De son côté, Jacques ATTALI m'appris que sa cousine, la fille de notre voisine, devenue notre médecin à Alger, habitait à Nice. Or c'était la cible préférée, des déchets nazislamistes dont j'ai parlés : ils l'accusaient de mal les soigner volontairement.

Quelques faits marquant. Il y eu une succession de gouverneurs d'Algérie, du détesté CATROUX, à l'adulé SOUSTELLE. Je me rappelle très bien, de la première manifestation de mai 1958. En classe au talmud-torah de la rue Suffren, on nous a demandé de renter chez nous, à cause de la manifestation. Un peu plus tard, avec mes parents, j'assistai sur le célèbre Forum à une autre manifestation. Celle où de GAULLE prononça son célèbre "Je vous ai compris". A l'école, nous avions appris son rôle, durant la guerre mondiale. L'immense foule scandait "SOUSTELLE, SOUSTELLE". De GAULLE arriva au balcon du GG et sèchement, il intima à la foule : "Chut, taisez-vous !". Je n'avais que onze ans, mais d'emblée, mais cela me fit mauvaise impression. Mauvaise impression confirmée, hélas. Durant l'été 1959, j'étais chez mes grands-parents maternels à Sétif. Mes parents étaient en France, ma mère attendait la naissance de mon petit frère. Je me rappelle la consternation de mon oncle et mes tantes, quand ils entendirent à la radio, la déclaration de de GAULLE sur l'autodétermination.

Lors de cet été 1959, mon cousin Gérard, ami de Julien ZENOUDA, fit visiter à mes parents un vaste appartement, place de la République à Paris. Il conseilla à mon père, qui en avait les moyens, d'acheter ce bien. Mais mon père n'y croyait pas. Comme mes parents, j'ai cru et espéré, jusqu'au bout, que quelque chose enrayerait le processus déclenché par cette déclaration. Nous avons cru aux "barricades", nous avons cru au Putsch, et nous avons cru en l'OAS.  

La vie juive est centrale pour moi. Décédé deux mois avant ma naissance, je n'ai connu de mon grand-père paternel, que son talith et son sidour, en plus de son portrait sur la cheminée. Selon l'usage, j'en porte le prénom hébreu. Comme ses trois frères et sa sœur, mon père, ignorant tout de notre Tradition, était non pratiquant. Ma mère venait d'une famille plus attachée au judaïsme. Mon grand-père maternel était aussi "sofer". Il a rédigé un livre de "ségoulote". Comme les femmes de son temps, l'essentiel de la pratique de ma mère était culinaire. En plus du fameux couscous et les "tfina" du Shabbat, chaque fête juive avait ses succulentes traditions. Par la gazette de MORIAL, j'ai appris que des expressions, que je croyais familiales, étaient en usage à Alger, comme par exemple le mot "Betmor" à propos du séder de Pessah. Donc, j'ai commencé à fréquenter le Talmud Torah de la rue Suffren à l'âge de six ans. Le directeur était alors le rabbin ABIB, oncle d'un des élèves de ma classe. Le premier "moreh" s'appelait LEVY. Il devait avoir une vingtaine d'années.

Il y avait bien sûr, d'autres enseignants dont les noms sont plus connus et dont je fréquentais ultérieurement les classes. Parmi, l'aumônier CHEKROUN. Dans sa classe, en 1957, j'ai même obtenu le prix d'excellence, remis lors d'une cérémonie au cinéma "Marignan", de Bab-el-oued. J'ai souvenir aussi d'un monsieur EISNER. C'était un "chaliah" de la "sohrnout". Les photos en noir et blanc, qu'il distribuait, pour nous faire aimer Israël, n'avaient pas vraiment l'effet escompté. Malgré tout, les élèves du Talmud Torah aimaient Israël. J'ai connu le remplacement du vieux cimetière juif de la rue Suffren, par la construction de l'école Maïmonide. Durant son service militaire, Jacquot GRUNWALD y fréquentait les offices religieux. Je revois encore le sévère, Maître BECCACHE, l'inspecteur du Talmud Torah, et son insistance, pour une bonne prononciation de l'hébreu. J'en mesure pleinement l'importance aujourd'hui. Je n'admets pas que le "âïn"- "ע"ne soit pas prononcé, dans l'Ivrit actuel. Ce talmud-torah, où Simon DARMON était enseignant. Il était aussi "madrikh" du Bné Akiba. Et puis ce fut la préparation à la Bar-misva. C'était dans la classe du rabbin Albert Abraham AMAR. Il officiait dans une synagogue du bas de la casbah, celle de la rue Sainte, je crois. Il habitait, avec sa femme la synagogue de St Eugène, où son beau-frère BEN-DAVID, était rabbin. A. AMAR a réintroduit à Alger, un judaïsme plus orthodoxe dans l'enseignement, là où prévalait la liturgie. Le samedi après-midi, j'allais parfois aux "oneg shabbat", qu'il organisait dans la cour de la synagogue de St-Eugène. Albert AMAR fut longtemps le rabbin de la synagogue algéroise Ribach et Rachbats de Nataniya. Pourtant Morial n'en a jamais parlé.

J'ai cité des noms, parce que beaucoup plus tard et loin de l'Algérie, j'ai retrouvé ces personnes, dans plusieurs endroits et diverses circonstances. Un oncle joua un rôle important pour ma famille et moi, Sylvain FARRO z'l.  C'était le mari de la sœur de mon père. Curieusement, je n'ai jamais vu son nom dans Morial, alors qu'il succéda à Elie ZERBIB, comme président de la synagogue "algéroise" Brith-Shalom, rue St Lazare, à Paris et du Comité Parisien des Israélites de l'Algérois, dont il a toujours tenu la trésorerie. Il était fier de son titre de Roch Hebra Kadisha. C'est à lui que se réfère notre ami Simon DARMON, dans son "livre de nos coutumes", à propos des usages funéraires juifs à Alger. Il était le frère aîné de Jonas, fabricant de matsot. Chassé des PTT par les lois de Vichy, j'ai connu la fin de son modeste commerce de vin, dans lequel il s'était reconverti. Il fut "sandak" de ma "brith-mila". En l'absence de mon grand-père paternel décédé, selon la coutume, cet honneur aurait dû revenir au frère ainé de mon père. Mais il le déclina, n'en appréciant sans doute pas l'importance. A l'époque, Sylvain FARRO était déjà membre de la "hébra kadisha". (C'est une coutume algéroise de prononcer "b" la lettre beth sans daghesh). Il participait aussi à plusieurs de ces sociétés de bienfaisance, dont Morial a fait récemment un dossier. Il réintégra les PTT, et plus tard, il s'occupa des finances du consistoire d'Alger. C'était un grand ami de Martin ZENOUDA, le père de notre ami Julien. Il habitait au 4ème étage du 9 rue Léon Roche, à Bab-el-oued. L'étage a un rôle dont je parlerai. Au rez-de-chaussée habitait un petit garçon qui sera connu, puisqu'il s'agit de Guy SENBEL, fondateur de GUYSEN Israël News, dont je fus l'un des premiers éditorialistes, et Guysen-TV, précédant i24, la télévision israélienne francophone et gauchiste. Peu de temps après l'indépendance, un couple habitant l'immeuble fit la "une" de France-Soir : madame FERRARI égorgea son mari infidèle. Cette "charmante" voisine bavardait souvent avec ma tante. Quant à monsieur, il fut l'un de mes profs de gym, à Bugeaud.

Ayant perdu ses enfants en bas âge, et étant trop âgé, cet oncle voulut m'adopter. Ce que mes parents refusèrent, bien sûr. Il se contenta de m'aimer beaucoup, jusqu'à la fin de ses jours, dans sa centième année, en 2001. Donc quand j'étais enfant, il m'emmenait volontiers avec lui, dans des réunions, souvent des "azguer". Mais aussi, à la forêt de Baïnem, pour le pique-nique annuel, des donateurs de l'école rabbinique. J'y rencontrai presque toutes les personnalités religieuses et civiles, citées dans Morial.

Parmi les figures religieuses, les rabbins FINGHERUT, et plus tard ASHKENAZI (le père de Manitou), parmi les civils, la célèbre famille ABOULKER. Longtemps après, j'apprendrai que Yaya, le sympathique chauffeur et homme à tout faire, musulman, de l'école rabbinique, était un membre du FLN. Donc, la rue Léon Roche étant plus proche de la rue Suffren, que le 84 avenue Malakoff, le jeudi, jour de Talmud Torah, j'allais déjeuner chez mon oncle et ma tante. Du balcon, je voyais la terrasse de l'immeuble de deux étages, en face.  L'immeuble appartenait à l'un des frères de mon oncle. Et sur la terrasse se trouvait l'école ORT d'Alger. Depuis le balcon, j'aimais taquiner le vieux monsieur, en blouse grise factotum de l'école.

Beaucoup plus tard, j'appris qu'il était le père d'un des présidents de ma communauté, en région parisienne. Destin tragique, l'une des filles de ce président, vivant en Israël depuis sa retraite, a été sauvagement assassinée, par un déchet nazislamiste. Il s'agit d'Esther Brigitte HURGAN, née ATTELAN, H.y.d. (La formule H.y.d. ה.י.ד.pour Hachem yikom damo (dama au féminin) – Dieu venge son sang – est la formule correcte à utiliser en parlant d'un Juif assassiné. Beaucoup utilisent à tort, la formule Baroukh Dayane Haémète, valable pour les décès naturels). J'ai connu Brigitte, petite fille.

Dans les tous derniers mois précédant "l'indépendance", durant le blocus de Bab-el-oued, alors que nous étions au balcon, ma mère tenant mon plus jeune frère aux bras, les nervis de de GAULLE, tirèrent vers nous une rafale de mitraillette. Après le massacre de la rue d'Isly, les musulmans et non musulmans se séparèrent. Ce fut l'époque des "strounga" et des attentats "aveugles". Jusque-là, musulmans et non musulmans, entre voisins on se "protégeait. Mes parents racontèrent comment un voisin arabe de St-Eugène empêcha leur assassinat. De la même façon, nous les voisins, nous ne souhaitions pas la mort des arabes de nos relations. Avec les départs et les nouveaux arrivants, tout s'enflamma.

C'est dans ce contexte, qu'un bijoutier juif, quitta Orléansville pour habiter l'immeuble mitoyen, au n°86. Je crois que c'est en mai 1962, qu'il nous dit que la communauté juive de Strasbourg accueillait, les enfants et ados juifs d'Algérie, pendant les mois d'été, pour soulager les parents durant leur installation en "métropole". Ce bijoutier s'appelait HAZAN. C'était le frère d'Albert HAZAN, aumônier dans l'armée française avec le grade de colonel, et l'un des fondateurs et artisans du comité AJIRA - Aide aux Jeunes Israélites Rapatriés d'Algérie. C'est bien plus tard que j'appris que le comité AJIRA fut initialement, une idée de Lucien LAZARE. Lucien LAZARE fut mon prof d'histoire juive, à l'école Aquiba. Il devint le beau-père d'Avrom BURG, qui fut un très curieux personnage politique israélien, après sa fonction de président de la Knesset. Albert HAZAN, colosse et grand érudit, fit son alya après "la guerre des Six Jours". Il finit sa carrière comme aumônier général de la police sraélienne. A tout hasard, mes parents demandèrent à mon oncle Sylvain de vérifier ces informations.

Il les confirma. Mais, jusqu'au 1er juin 1962, nous  pensions que nous allions rester en Algérie et que de GAULLE éliminé, l'Algérie resterait française.

Aussi quand le 1er juin au soir, mon père nous annonça qu'il avait pris les billets sur le "ville de Bordeaux", pour notre départ, le 11 juin, ce fut un gros choc. Nous ne savions pas du tout où aller. Ma mère avait un frère à Lyon. Mon père avait son frère aîné à Nice. Mon oncle Sylvain avait des frères en région parisienne. Et comme beaucoup d'Algérois, nous pensions que Marseille nous rappellerait notre ville natale. A quinze ans, je n'avais jamais quitté l'Algérie. (Sauf à dix-huit mois, lors d'un séjour en France). Mais cela ne nous donnait aucun toit. C'est alors que les enfants de la sœur ainée de ma mère, faisant leurs études à Paris et habitant tous les trois à la cité U, Jean ZAY d'Antony, louèrent pour leurs parents, un trois pièce d'une soixantaine de mètres carrés, à Clichy-sous-Bois, dans le 78 d'alors. Puisque je parle d'elle, à Alger, quand, elle habitait rue Livingstone, elle avait pour voisins de palier, la famille ZENOUDA, que l'on ne présente plus chez Morial. Jacky ZENOUDA, ami de mon cousin Jean-Jacques, venait parfois avec lui, chez mes parents. Ma tante proposa à mes parents de les héberger, le temps qu'ils trouvent un logement. Mes parents acceptèrent.

Le matin du onze juin, comme d'habitude, j'ai regardé la mer depuis la véranda, puis je suis allé acheter du pain chez notre boulanger. Des années plus tard, le fils aîné du boulanger Michel SUCH, connut la célébrité dans la réalisation de quelques films à succès, en compagnie de grands noms du cinéma et sa réalisation personnelle "Roro de Bab-el-oued". Surtout pas de bavardage sur notre départ imminent. Et comme Colette WEINSTEIN me l'a dit : - il y eut deux sortes de départs, les gens aisés qui prirent l'avion, qui arrivèrent en France rapidement et qui avaient généralement où aller, et puis les autres, plus nombreux et plus modestes, qui prirent le bateau, et qui pour beaucoup n'avaient pas où aller.

Quant à mes sentiments à ce moment, ils étaient très mêlés. Bien sûr, la peine de quitter, ou plutôt d'être obligé de fuir, sa ville natale, dominait. La tristesse de penser que je retrouverai très difficilement une aussi belle vue. Mais, à la différence de mon frère cadet, je n'avais pas de vrais copains, c’est-à-dire des intimes, avec lesquels on passe beaucoup de temps et on fait ses bêtises de gosse, je n'avais pas de regret de ce côté. Par contre, j'étais inquiet pour la situation matérielle de la famille. Mon père était au milieu de la cinquantaine. Il n'avait pas d'autre métier que chauffeur de taxi, malgré ses diplômes professionnels de jeunesse. Il avait une femme et quatre enfants à nourrir. En 1962, les économies qui lui permettaient d'acheter un grand appartement à Paris en 1959, ne lui permettaient alors, que des choix plus modestes en banlieue, du fait de l'inflation et de la crise immobilière, Pour ma part, je ne connaissais Paris qu'à travers les films, souvent en noir et blanc. Déjà, sans doute à cause du cinéma, je n'aimais pas Paris.

D'un autre côté, j'étais quand même curieux de découvrir autre chose. Je crois que c'est mon oncle Sylvain qui nous conduisit au port, dans sa voiture. Sa femme nous accompagnait en France. Elle aussi habiterait avec nous. Mon oncle réintégré aux PTT, ne sera rapatrié vers la fin juillet. Donc, nous montâmes sur le Ville de Bordeaux. Nous nous installâmes sur les transats du pont.

Nous n'avions pas de valises, mais des boites en carton, contenant quelques vêtements. Quand le bateau quitta le quai, nous avions tous de la peine en voyant Alger s'estomper. Mais ma nature d'adolescent reprit le dessus pendant la nuit. Le lendemain, quand nous fûmes à quelques encablures de Marseille, mon père prononça une phrase qui nous stupéfia. Lui qui était non pratiquant, lui qui n'évoquait la vie dans le jeune pays d'Israël, qu'en parlant de pelle et de pioche et des attentats commis par les fameux "déchets", lui dit : "La France n'est qu'une étape". Il était un Juif authentique. Que sa mémoire soit bénie et qu'il bénisse ses enfants, petits-enfants et arrières petits-enfants.

"Le coup de sirocco", célèbre film, avec Roger HANIN et Marthe VILLALONGA, raconte le départ d'une modeste famille juive d'Algérie. A l'arrivée à Marseille, ils prennent le taxi, pour aller prendre le train gare St-Charles, direction Paris. Et bien nous, arrivés à la Joliette, avec nos cartons, nous avons pris le bus pour aller gare St-Charles. Le train ne partait que tard la nuit, pour arriver à Paris, le lendemain. Arrivés à la gare de Lyon, personne ne nous attendait. Mon père connaissait assez bien Paris, mais nous ne savions pas où aller. Donc, nous attendîmes la journée entière sur un quai de la gare de Lyon. Ce n'est qu'en début de soirée, que des gens que nous ne connaissions pas du tout, nous mirent en relation avec des Français volontaires pour nous accueillir en dépannage. Et c'est ainsi que nous partîmes, dans leurs voitures, vers Palaiseau, où ils nous répartirent, trois adultes et cinq enfants, dans leurs modestes appartements.

C'était la phase finale de la coupe du monde de foot. Ce n'est que le lendemain, que la sœur aînée de ma mère vint nous chercher, pour nous conduire dans son appartement de Clichy-sous-Bois. Mon père, ma mère, ma tante et mes frères et sœurs partirent ensemble vers Clichy-sous-Bois. Moi, je partis avec ma tante. Elle devait prendre les clés chez ses enfants, à la cité U d'Antony. Donc, à Palaiseau,, nous prîmes "la ligne de Sceaux", qui n'était pas encore le RER B et nous nous arrêtâmes à la Croix de Berny, qui dessert la cité U. Pendant que ma tante prenait les clés, je rentrai au Parc de Sceaux. J'étais loin de me douter que j'habiterais dans une des maisons du Parc de Sceaux, depuis 1983. Plusieurs mois plus tard, ma famille voulut remercier ces inconnus, qui nous avaient spontanément aidé. Mes parents, oncles et tantes se rendirent chez eux. Or, coïncidence, pendant cette visite, ils furent arrêtés par la police. La pourriture déjà au pouvoir en francekipu, ne leurs avait sans doute pas pardonné leur sympathie, pour l'Algérie française et les Pieds-Noirs.

Et puis nous reprîmes l'expédition vers la terre lointaine de Clichy-sous-Bois. Depuis que deux petites racailles se sont mises au courant, en entrant spontanément dans un transformateur électrique, cette bourgade est devenue un symbole de la nouvelle France des "banlieues". Mais à l'époque, c'était la vraie campagne. Donc, après un long trajet en métro, jusqu'à Eglise de Pantin, terminus d'alors de la ligne 5, nous prîmes le bus 247. Il n'y avait qu'un seul bus, tous les trois quart d'heure, entre cinq heure le matin et neuf heure le soir. Et le trajet coûtait pas loin de trois "nouveaux francs", alors que le "smig" était d'environ cinq cent francs par mois. La carte Orange, ancêtre du Pass Navigo, n'existera qu'à partir de 1975.

Enfin nous arrivâmes. Il fallait encore marcher deux bonnes centaines de mètres pour atteindre un alignement de cinq longs immeubles de quatre étage, entourés par une légère clôture, pompeusement nommé "Résidence Sévigné". A Alger, nous étions modestes, mais outre sa vue exceptionnelle, notre appartement avait une hauteur de quatre mètres sous plafonds. Ce fut le choc ! A peine deux mètre cinquante. Deux petites chambres, une prétendue troisième, ouverte sur le séjour, une cuisine, pas trop minuscule, et une petite salle de bains. Et nous devions nous entasser à neuf là-dedans. Les adultes achetèrent de suite alentour, de quoi dormir. Faute de mieux, les trois femmes firent les premiers achats de nourriture, dans le petit centre commercial local. Et dès le lendemain, nous les gosses, nous commençâmes à sortir dans la cité. Et nous nous rendîmes compte que la "cité" était pour plus que la moitié, peuplée de "rapatriés".

Parmi ces rapatriés, nous en connaissions. Par exemple, ma mère retrouva des cousins et cousines de Biskra. Ainsi que des connaissances. Parmi, une famille dont le fils deviendra rabbin, j'appris plus tard, que le père fut comptable de mon beau-père, à Biskra. Dans cette sorte de retrouvailles, nous n'étions pas choqués de voir passer le matin, le laitier avec ses bidons sur une carriole tirée par un bourricot. Des champs où ruminaient des vaches, s'étendaient là où nous vîmes construire les cases à habiter, à partir de 1970. Durant mes études supérieures, j'appris qu'en 1962, plus de la moitié des logements parisiens, avaient les wc sur le palier. POMPIDOU ne mit fin aux bidonvilles autour de Paris, qu'à partir de 1964. Tout de suite, mon frère cadet se fit plein de copains qu'il ne connaissait pas avant. Pas moi, personne de mon âge. Mais quand même, j'appréciais les moments passés en bande à trainer.

Vu le manque de place, mes parents voulurent profiter de la proposition de la communauté juive de Strasbourg. Donc le surlendemain de notre arrivée à Clichy-sous-Bois, mon père entreprit de faire établir nos cartes de réduction SNCF, pour nous envoyer à Strasbourg. Dès qu'elles furent prêtes, ma mère prépara une valise pour mon frère et une autre pour moi. Nous étions fin juin et nous n'avions pas de vêtement d'hiver. En bus et métro, mon père nous accompagna à la gare de l'Est. Il nous mit à chacun, un billet de cinquante francs dans la poche, et en voiture. Je n'avais que quinze ans et deux mois, mon frère treize ans et demi. Depuis Alger, où il était encore en activité, mon oncle Sylvain prévint les responsables de notre arrivée. A Alger, j'avais envisagé de me retrouver, à Marseille, à Nice, à Lyon, à contrecœur à Paris, mais jamais en Alsace. Je savais juste que l'épicière dont la boutique était juste sous notre chambre, avenue Malakoff, était Alsacienne. Elle recevait parfois, ses petites filles venues de métropole. N'étant pas nul en géographie et plutôt cultivé, je connaissais un peu l'histoire de l'Alsace. Mais jamais je ne pensais y habiter.

Le train arriva à la gare de Strasbourg. Deux personnes nous attendaient. Il s'agissait de Renée NEHER, historienne, épouse d'André NEHER, qu'on ne présente plus, président du comité AJIRA. Elle fut mon prof de latin. Et Freddy RAPHAEL. A l'époque, il était prof d'Anglais à l'école Aquiba. Il sera plus tard; directeur de l'Institut de sociologie. Nous prîmes la voiture de Freddy RAPHAEL. La première question qu'il nous posa, est toujours le symbole de ce contre quoi, je me bats avec force, depuis tout le temps. Pourtant, je voue à Freddy et à sa femme, une gratitude éternelle, pour leur gentillesse et leur hospitalité. Il nous hébergea chez lui deux jours et durant des années je fus souvent invité à sa table de Shabbat.

Donc, cette fameuse première question, que j'ai souvent évoquée dans mes nombreuses chroniques "Charles DALGER", ce fut : "N'avez-vous pas trop souffert de l'OAS ?". Interloqué, je lui répliquai : "pourquoi l'OAS ? Demandez-nous plutôt, si nous n'avons pas souffert des fellaghas, ce serait plus vrai". Par l'une de mes cousines, côté paternel, étudiante en France, je savais les ravages provoqués par la propagande "anticolonialiste", qu'elle soutenait alors. Le colonialisme est prétendu d'extrême droite, et l'extrême droite est prétendue antisémite. Mais la question de Freddy RAPHAEL était incongrue et elle le reste toujours autant.

Nous passâmes la première nuit au centre communautaire, dans le gymnase aménagé en dortoir. En arrivant, Renée NEHER en personne me demanda si j'étais pratiquant. Ignorant tout du judaïsme orthodoxe ashkénaze, pratiqué à Strasbourg, je répondis que oui. Quelle blague ! Avec mon frère, depuis l'avenue de la Paix, nous voyions la célèbre flèche de la cathédrale de Strasbourg. Je proposai à mon frère d'y aller. Et nous partîmes. Ma première impression avec la ville fut très négative. C'était tellement loin d'Alger ! Mais trois mois plus tard, j'étais amoureux de Strasbourg et de toute l'Alsace.

Mes parents, naïvement, nous avaient envoyés seuls. Or, cette offre, initialement destinée aux jeunes, attira des familles entières de Juifs d'Algérie. En particulier, des Juifs du Mzab. (J'ai découvert récemment par Morial, que ces Juifs n'avaient accepté que très tardivement la nationalité française). Dès le lendemain de notre arrivée à Strasbourg, pour la première fois de ma vie, je me fis des "copains". Et surtout, pour la première fois de ma vie, en compagnie de ces copains, j'entrepris de "draguer" des filles. Celles d'une école catholique voisine, dans les jardins du Contades, entourant l'imposant centre communautaire.

C'est aussi durant ces premiers jours que j'ai commencé à aimer la bière. Avec les copains, nous en consommions dans les bierstubs alentour, à 71 cts le demi. Ces premiers mois en Alsace furent, pour moi, très riches. Au bout d'une huitaine de jours, après avoir été hébergés chez la famille D., la famille RAPHAEL et à l'internat de l'ORT, on nous envoya dans une vieille baraque appartenant aux EIF, sur les hauteurs de Ste-Croix-aux-Mines, dans le 68. Le 5 juillet 1962, jour du référendum actant l'indépendance, nous avons manifesté en criant "Algérie française", sur la route entre St Croix et Ste Marie-aux-mines. Peu de temps après, on nous envoya à l'internat du lycée de Haguenau, au nord du 67. Durant le séjour à Haguenau, nous avons retrouvé des connaissances d'Alger. Nous avons aussi fait connaissance avec celui et celle, qui seront nos directeurs d'internat, pour les années à venir, David ABENAÏM et sa femme Esther. Je leur voue une affection éternelle, malgré les bêtises que j'ai pu faire durant l'internat. Lui était originaire de Mogador, aujourd'hui Essaouira. Ville que j'ai connue en 2010. Elle était ashkénaze, originaire de Pologne. Sa famille y étant perdue, elle avait survécu à la déportation. Elle était devenu amie avec Elie WIESEL qui n'était pas encore prix Nobel. Ainsi, il passa plusieurs Shabbat avec nous, à l'internat d'OBERSCHAEFFOLSHEIM.

Les vacances d'été finissant, il fallait nous répartir dans les classes et les écoles suivant notre niveau réel. Donc, nous passâmes tous des examens. Je fus admis en troisième à l'école Aquiba. Le directeur en était le fondateur, Beno (Benjamin) GROSS. Il finit sa carrière comme doyen de l'Université Hébraïque de Bar Ilan. Parmi les professeurs, j'eus Simon DARMON comme prof d'Ivrit. Mais il était aussi prof d'espagnol. J'ai eu beaucoup de prof d'Ivrit. Mais de très loin, le meilleurs fut Simon DARMON. J'ai encore en tête ses explications de la grammaire avec les lettres "fortes" et les lettre "faibles". On le surnomma "transistor". Mon frère cadet fut autorisé à redoubler la cinquième, bien que plus débrouillard que moi.

On nous logea dans l'ancienne synagogue du village d'OBERSCHAEFFOLSHEIM. Aujourd'hui, c'est une banlieue de Strasbourg située à une douzaine de kms du centre. Mais en 1962, c'était encore un village agricole. L'internat était mitoyen à la ferme ZORN. Le meuglement des vaches nous réveillait le matin. Nous y avons retrouvé d'autres connaissances d'Alger. Parmi, les frères AROUCH, camarades du Talmud Torah, les frères CHETRIT, connus aux EI, les frères ABIB, dont le cadet était en classe avec mon frère et dont l'aîné du même âge que moi, était mon camarade depuis l'âge de six ans au Talmud Torah de la rue Suffren. Il est aujourd'hui médecin à Maâle Adoumim. Et puis Michel KELIF, camarade de classe de mon frère depuis Alger, le Shabbat, à la synagogue de la rue de Dijon, nous passions la "birkat cohanim" ensemble, sous le talith du grand-père de nos camarades NICOLET. C'est toujours mon ami aujourd'hui et nous sommes toujours en relation. Il est bloqué à Paris, car il n'a pas pu retourner à Rio, où il vit, à cause de son refus de vaccination.

Mais, nous avons fait aussi de nouveaux amis. L'un d'entre eux, de Aint-Temouchent, est mon voisin. Nous marchons souvent ensemble, au Parc de Sceaux. Deux frères nous rejoignirent à l'internat d'OBERSCAEFFOLSHEIM. Il s'agit de Richard Eliahou ZINI et son frère Rémy Yossef. Richard Eliahou est une grande voix du judaïsme. Il est connu pour avoir fondé la yéshiva du célèbre Technion de Haïffa. Mais, c'est aussi un scientifique de haut niveau. Il a obtenu un doctorat en mathématiques théoriques et un autre en mathématiques appliqués. Il est ceinture noir de karaté. Il fut, je ne sais pas s'il l'est encore, l'un des principaux conseiller de Naftali BENNET, l'actuel Premier Ministre d'Israël. Nous étions voisins de chambre. Quant à son frère cadet, nous sommes devenus grands amis. Surtout en terminale, quand nous étions à l'école Maïmonide, rue des Abondances à Boulogne. Il a fondé un kollel à Ashdod, il est père de huit enfants, dont le fameux colonel ZINI. En classe, j'étudiais la guemara avec celui qui allait devenir Rav HEYMAN d'Epinay. Son père fut l'un des premiers compagnons de la Libération.

Pour finir avec cette première année en France, il se trouve que l'hiver précoce 1962-1963, fut particulièrement froid. Une nuit, le thermomètre de notre chambre afficha -30°. Et ni mon frère, ni moi, avions des vêtements d'hiver.

Nos parents débordés et aussi un peu inconscients, attendaient notre retour à Clichy-sous-Bois, aux vacances d'hiver, pour nous acheter le nécessaire. A Alger, je souffrais de toux chronique. Mais l'exposition au froid sec me guérit. Quelques années après mon retour en région parisienne, je rechutais. Et ça dure encore.

Durant tout ce temps passé en Alsace, personne n'a jamais réclamé d'argent à mes parents, pour participation aux frais. Aussi, à la fin de la deuxième année scolaire, mon frère cadet retourna vivre chez mes parents à Clichy-sous-Bois. Il termina le secondaire à l'école de l'Alliance, à Pavillons-sous-Bois. Puis il fit une formation professionnelle au lycée Technique d'Aulnay-sous-Bois, où il connut sa future femme. A l'automne 1968, il intégra la première promotion de l'Institut informatique de Jussieu. Il en sortit ingénieur. Après des passages chez les grands noms informatiques de l'époque, il fit une époustouflante carrière de commercial chez Hewlett-Packard. Avec l'argent gagné, il fonda Finsbury Shoes, une entreprise dont l'actuel patron vient d'être honoré sur M6,. Pour cela il s'associa avec notre beau-frère, Israélien d'origine marocaine, ancien héros de la guerre des Six jours, self-made-man, qui gagna de l'argent à la grande époque du Sentier. C'est notre beau-frère, qui eut l'idée de mettre l'image qui orne, jusqu'à présent, les magasins Finsbury du monde entier. Il s'agit du magasin de "cuirs et peaux, fournitures pour chaussures", du frère aîné de mon père. Ce magasin était situé au numéro 22 de la rue de Chartres à la Casbah d'Alger. La photo date de 1923. On y voit mon oncle, des employés et mon père, qui n'avait que 17 ans. Par vénération pour mon frère qui l'a recruté et qui lui a fait confiance, l'actuel patron, repreneur de l'entreprise, a promis de conserver cette photo dans tous les magasins de la marque.

Les deux années suivantes, l'internat était au 42 de l'avenue de la Forêt Noire, à Strasbourg. En première l'un des "pions" était Michel SARFATY, celui qui deviendra le rabbin des amitiés judéo-musulmanes, en même temps que celui de Ris-Orangis.

A la fin de la première, je fus exclu de l'internat. Je compris très bien que ce n'était qu'un prétexte, masquant la pudeur de demander une participation aux frais, plus consistante que ma modeste bourse d'élève du secondaire. Aussi, je n'insistai pas pour rester à Strasbourg avec mes habituels camarades de classes. Je revins donc à Clichy-sous-Bois. Mais je ne me voyais plus faire ma terminale Sciences Exp. dans un lycée public. Je demandais donc à mes parents d'être interne, à l'école Maïmonide de Boulogne. Mon oncle Sylvain négocia avec Théo DREYFUS, le directeur d'alors, les frais d'écolage.

La sœur de ma mère dû bousculer mon père pour qu'il trouve son propre appartement. Ce fut dans la cité voisine des "Genettes", encore plus sinistre. La sœur de mon père et mon oncle Sylvain, habitèrent avec mes parents jusqu'à fin 1964. Affecté à Versailles, mon oncle se levait à 4h. du matin pour être à l'heure à son poste. C'est à peine un an avant la retraite qu'il obtint un appartement dans un ensemble immobilier de Fontenay-aux Roses, réservé aux agents des PTT. Il y vécu jusqu'à la fin. Rapidement, il devint adjoint au maire, puis premier adjoint. A ce titre, il facilita un peu les démarches administratives, pour la construction de la synagogue de la ville en 1974. Il en fut nommé président d'honneur.

Depuis 1975, c'est ma synagogue. Coïncidence, cette communauté, fondée à Bagneux vers la fin des années cinquante, par un oranais, Moïse CHOUCROUN, porte depuis près de vingt ans, le nom d'un des chefs des enfants de chœur du Grand Temple d'Alger, Moïse MENIANE. Il en fut longtemps président. Cette histoire me fut raconté par monsieur TORDJMAN, ancien commissaire divisionnaire à Alger, qui fut enfant de chœur au Grand Temple. Il me raconta aussi qu'il refusa d'assurer la sécurité de de GAULLE après la guerre, le jugeant "antisémite". Il y eu trois autres présidents algérois : Paul ATTELAN, dont j'ai parlé, Joseph LELOUCH, grand érudit en Torah et l'un des fondateurs de l'INSERM comme statisticien, et Gilles BOUCHARA, bien connu de Colette WEINSTEIN et Serge DAHAN. Parmi les fidèles de la synagogue, il y a Claude ELBAZ. Il fut président de l'UEJF à Alger. Il me raconta que sa mère éleva le futur rabbin Albert AMAR. Il y a aussi Pierre BENICHOU. Il fut camarade de classe de mon cousin Gérard HAOUAT et président de l'ONERA. Joseph LELLOUCH me raconta, comment les parents du prix Nobel COHEN -TANOUDJI, dont il fut ami et camarade de classe à Bugeaud, lui demandèrent de faire pression sur leur fils pour qu'il intègre Polytechnique. Ce qu'il refusait parce qu'il voulait Normal Sup.

J'eus donc mon bac en 1966, une année au taux de réussite plutôt faible. Mais, mes parents habitant toujours à Clichy-s-B., l'Alsace me manquait. Je retournai faire mes études supérieures à Strasbourg. Sans trop réfléchir aux débouchés, je choisis, comme le mari d'une de mes cousines, de faire des études d'économie. C'était encore nouveau à l'époque. J'aurais beaucoup à raconter, mais c'est hors sujet. Pour conclure, mai 1968 étant passé par là, je fis partie de la première promotion de diplômés chômeurs. Après une année à chercher vainement un emploi à Strasbourg, pas fier, je revins chez papa et maman.

Toutefois, j'avais fortement poussé mon père à acheter un appartement décent dans un immeuble neuf de l'avenue Jean Jaurès à Paris. Mon frère et moi, nous portions garants pour lui. En 1973, c'était le nouveau quartier juif de Paris. Mon frère cadet était fiancé. Ma première sœur avait déjà rencontré son futur mari à l'ambassade d'Israël, où une cousine l'avait pistonnée. Et moi l'ainé, je n'avais personne. Mais ça n'a pas tardé.

Quelques jours après mon arrivée à Paris, après une soirée à écouter du jazz au Petit Journal St-Michel, je demandai à mon cousin Jean-Jacques de me déposer au PLM St-Jacques où se terminait le bal annuel du Bétar. J'espérais y rencontrer des connaissances. Je ne rencontrai personne, si ce n'est ma future femme. Bien sûr, nous nous sommes plu, c'est la raison essentielle. Mais ce qui accéléra ma décision de mariage, c'est qu'en faisant connaissance avec cette Algéroise, inconnue avant, je découvris que la famille de sa mère à Alger, connaissait la famille de mon père et la famille de son père, à Biskra, connaissait la famille de ma mère.

Pour boucler la boucle, notre fils ainé est marié avec la fille d'un couple oranais et ma fille est mariée avec un petit-fils du marchand de chaussures Jaky, de l'avenue de la Bouzaréa.