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Bienvenue sur le site de l’association MORIAL

Notre objectif : sauvegarder et transmettre la mémoire culturelle et traditionnelle des Juifs d'Algérie. Vous pouvez nous adresser des témoignages vidéo et audio, des photos, des documents, des souvenirs, des récits, etc...  Notre adresse

 e-mail : morechet@morial.fr -  lescollecteursdememoire@morial.fr

L’ensemble de la base de données que nous constituons sera  régulièrement enrichie par ce travail continu de collecte auquel, nous espérons, vous participerez activement.  L'intégralité du site de Morial sera déposée au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme (MAHJ) à Paris, pour une conservation pérenne .

Tlemcen, le kiosque à musique au centre ville
Médéa : rue Gambetta (1945)
Alger : rue d'Isly (1930)
Une oasis à Ouargla (Territoire du Sud algérien)
La Grande Poste d'Alger (Photo J.P. Stora)
Square Bresson
Lycée E.-F. GAUTIER D'ALGER
Service Alger - Bouzareah
Alger : le marché de la place de Chartres
MEDEA - Le Café de la Bourse
Guyotville - La Plage

 

Conférence de Monsieur Lucien LEVI-BRAM
Président de la Société  "LA FRATERNELLE" D'ALGÉRIE - Alger, le 9 juin 1926

Mesdames, Messieurs,
Les troubles , les vexations, les haines, les injures, les affronts dont nous avons été l'objet, il y a plusieurs années, ne sont pas complètement effacés de notre souvenir. Nous devons reconnaître cependant qu 'aucune hostilité particulière ne s'est plus manifestée et que nos relations avec nos concitoyens, de religion différente, sont devenues plus faciles.
Le recul du temps va nous permettre de rechercher impartialement les causes de ces périodes troublées et de juger si les reproches adressés à nos pères et à nous-mêmes étaient véritablement mérités. Est-ce avec raison que le juif algérien a été si longtemps haï ?
Etait-il juste de lui imposer l'ostracisme qu'il a dû subir ?
 
 
Devons-nous, comme cela a été répété si fréquemment, croire que nos ancêtres ne nous ont légué que d'innombrables défauts et aucun des sentiments indispensables pour pouvoir vivre au milieu de peuples civilisés?
C'est ce que je vais examiner devant vous en vous exposant l'histoire des juifs algériens.
Lorsque les Juifs furent chassés de la Palestine, ils durent se disperser et quelques-uns d' entre eux s'établirent dans le nord de l'Afrique.
Ptolémé Soter , au moment de la prise de Jérusalem, au troisième siècle avant l'ère chrétienne, ordonna le transport d' un grand nombre de familles j uives dans les colonies romaines de l'Afrique. Cette immigration se continua pendant toute la période de la République Romaine et jusqu 'au commencement de l'établissement de l'Empire. La destruction du temple de Jérusalem (70 ans après l'ère chrétienne) fut également la cause d'une nouvelle arrivée d' une grande quantité de juifs dans l'Afrique du Nord.
Pendant toute cette période , ils vécurent des années bien troublées, avec de rares intervalles de bonheur. Le Talmud nous rapporte que de célèbres rabbins purent cependant exercer parfois une bienheureuse influence. Pendant l' occupation romaine, le commerce avait pris une grande extension. Les juifs allaient de la Numidie en Mauritanie vendre et acheter des bois de cèdre et parfumés, de l'ivoire , du musc, des plumes d'autruche, des plantes médicinales, des bracelets et colliers de cuivre, etc.. Avec l'avènement du christianisme, des mesures de restriction sont prises contre eux et de nombreux conciles (Elvire 313, Laodicée 320, Nicée 325) s'efforcent de rej eter les Juifs hors de la vie
sociale et les obligent à verser annuellement un lourd tribut à l'Eglise.
Le Juif se voit interdire toutes fonctions dans l'administration, dans l'armée, dans le gouvernement. Il n'a plus qu 'un seul droit, celui de gagner sa vie pour ne pas mourir de faim.
Les Vandales se montrèrent plus tolérants, mais cette heureuse période fut de bien courte durée. Justinien interdit formellement aux Juifs l'exercice public de leur cult e et donne l'ordre de s'emparer de toutes les synagogues pour les transformer en églises.
Avec l'arrivée des Arabes aucun changement notable ne se produit.
Cependant on constate la création de nombreuses écoles juives et l'histoire nous rapporte que plusieurs médecins et grammairiens juifs se sont rendus célèbres.
Le fanatisme des Khalifes de la dynastie des Almoravides et des Almohades s'intensifie et cause de nombreuses et sanglantes persécutions. Tout infidèle à la loi musulmane doit se convertir ou mourir. La haine des Arabes s'atténuera bien lentement et le Juif restera exclu de tout emploi public , sera contraint de porter des vêtements spéciaux et ne pourra jamais utiliser un cheval.
Au XII" siècle, aucun outrage n'est épargné aux Juifs. L'histoire enregistre de nombreux massacres, tous suivis d'une confiscation générale des biens. Pour échapper à ces persécutions beaucoup d'entre eux (qu 'on a appelés Maranes) se convertirent extérieurement à l'Islamisme tout en conservant intérieurement la foi mosaïque. La dynastie est enfin renversée et nos coreligionnaires vécurent plus librement; ils furent autorisés à exercer ouvertement leur culte, avec l' obligation , cependant, de verser des impôts et des taxes formidables et de porter des vêtements de couleur jaune. La législation arabe leur était applicable et tous leurs différends devaient être tranchés par les tribunaux arabes.
 
Les persécutions d'Espagne et la hideuse inquisition sont suivies du décret d'expulsion du 31 mars 1492, signé par Ferdinand et Isabelle la Catholique. Un très grand nombre de Juifs espagnols vient s'établir en Afrique du Nord et la plupart des communautés algériennes devinrent très prospères.
Pendant le XVI siècle les Juifs vécurent dans une tranquillité relative qui fut violemment troublée par l' occupation de certaines villes algériennes par les Espagnols (Oran 1509, Bougie 1510).
En 1541 les Espagnols tentent vainement le siège d'Alger. Les Juifs célébrèrent cet insuccès et ce souvenir est encore rappelé chaque année par beaucoup d' entre nous. Pendant l'occupation d'Oran par les Espagnols (de 1666 à 1792) les Juifs se voient interdire l'entrée de cette ville.
A partir de cette époque ils vivent au milieu des Arabes avec des alternatives de tranquillité et de persécutions. Surchargés d'impositions, ils étaient tenus de verser aux deys, qui se sont succédé, une contribution annuelle de 30.000 francs et, à l'occasion de la grande fête, un cadeau de 20.000 francs. Les deys s'associent fréquemment aux entreprises commerciales des Juifs.
- En 1795, Joseph Cohen Bacri est envoyé en France par le dey Hassan pour régler ses affaires commerciales et Simon Aboucaya pour être son représentant officiel.
- De 1802 à 1805, Nephtali Busnach est le principal conseiller du dey. Une violente révolte éclate brusquement. Busnach est assassiné et ce crime reste impuni.
Tous les débiteurs des Juifs les accusent d'être les fauteurs de désordre ; des centaines de Juifs sont brûlés et pendus et leurs biens confisqués. Depuis, et sous tous les gouvernements qui se sont succédé, les Turcs et les Arabes se sont toujours servis des Juifs comme intermédiaires pour leur commerce, mais les ont toujours traités avec la plus grande dureté. Cependant , quand en 1792, la ville d'Oran fut reprise par le bey Mohamed, les Juifs furent autorisés à y résider et de vastes terrains leur furent concédés.
Tout le commerce, la banque, le trafic avec l'étranger étaient concentrés par les Juifs qui avaient des représentants à Marseille, Gênes, Naples, Livourne et même en Angleterre.
Nombreux sont les services qu'ils purent rendre aux chrétiens tombés au pouvoir des corsaires. Pour s'acquitter du paiement de la rançon imposée, les familles des captifs ne pouvaient, sans risque, adresser directement les fonds aux deys. Les Juifs servaient alors d'intermédiaires après versement de la somme chez leurs représentants en Europe.
Toutes les professions, alors en usage, étaient exercées par les Juifs : ils étaient tailleurs, passementiers, brodeurs, matelassiers, ferblantiers, peintres, joailliers, orfèvres, etc., mais, malgré leur travail assidu , ils croupissaient dans une situation affreuse, étant constamment inj uriés et bafoués.
Sans nationalité, simplement toléré, conttinuellement opprimé, le Juif était astreint, sous peine de bastonnade , à marcher nu-pieds en passant devant les mosquées et les palais, à se tenir debout devant un musulman, à ne porter que des vêtements de couleur noire, à ne jamais avoir de lanterne en traversant les rues pendant la nuit ; il lui était interdit de lire ou d'écrire l'arabe et il devait se plier à exécuter toutes les corvées qui lui étaient commandées.
Chaque communauté était administrée par des mokadems, qui exerçaient un pouvoir arbitraire et sans limite ; les tribunaux rabbiniques avaient des attributions assez étendues, mais, en matière criminelle , seuls , les officiers du dey avaient toute compétence.
Telle était la situation des Juifs avant la conquête de l'Algérie par les Français.
Les causes de cette conquête sont certainement connues de vous tous et nous pourrons nous borner ici à énumérer les principales sans les développer. L'affront fait le 27 avril 1827 à l'honneur national , lors du fameux coup d'éventail, la diversion, cherchée par le gouvernement, pour détourner l'attention publique des difficultés intérieures, nées sous le ministère de Polignac et plus particulièrement l'affaire Busnach Bacri ont poussé la France à déclarer la guerre au Dey.
La disette qui sévissait en France en 1793 avait contraint l'Etat à contracter une dette de quinze millions pour s'approvisionner en céréales. La partie de ces approvisionnements, fournie par le dey, ne fut pas intégralement payée ; après de nombreuses réclamations présentées par Busnach et Bacri , la dette fut réduite , en 1819, à sept millions , sous réserve des créanciers français de Busnach et Bacri. Cinq millions sont versés. Le dey Hussein formule de nouvelles plaintes à Charles X et lance son coup d'éventail à l'ambassadeur français Deval.
Le 14 juin 1830 les Français débarquent à Sidi-Ferruch.
Les Turcs sont aussitôt expulsés d'Algérie et renvoyés en masse en Asie Mineure. Les Juifs avaient toutes raisons de se réjouir de la chute de la domination turque. Chassés d'Alger par le dey Hussein , ils accueillent favorablement les Français. Ces derniers font appel à leur concours et les emploient comme intermédiaires entre l'armée et les Musulmans.
Dès l'occupation d'Alger la France commence par assurer le libre exercice de la religion musulmane et par garantir la religion juive (capitulation de 1830 signée par de Bourmont et Hussein) . Son premier acte est une manifestation des principes d'égalité et de liberté.
Au point de vue de l' ordre public , la situation des Juifs est mal définie et inextricable ; ils ne sont ni étrangers ni indigènes , n'ont pas de consuls, de nationalité. Les Juifs abandonnent peu à peu leurs moeurs anciennes pour adopter chaque jour davantage la civilisation française.
Un Conseil municipal est alors organisé et composé de Maures et de Juifs.
Par un arrêté du 16 octobre 1830 les Juifs se voient conserver le bénéfice de leur législation propre. Cependant , en cas de procès criminel entre Musulmans et Juifs , le cadi restait seul compétent et appliquait la loi musulmane ; un droit d'appel était toutefois réservé devant la cour de justice française, composée de trois juges français.
Un arrêté du 16 novembre 1830 confia la direction des affaires juives à Cohen Bacri , qui assurait le pouvoir administratif et le pouvoir judiciaire et auprès de qui fut placé un conseil hébraïque.
Une ordonnance du 10 août 1834 donna compétence aux tribunaux français, pour tous les crimes ou délits commis par des Juifs ou à leur préjudice , et, aux tribunaux rabbiniques pour toutes les autres infractions.
La conquête de 1 Algérie se poursuit ; des combats héroïques se succèdent pour gagner chaque jour de nouvelles parcelles de territoires. Les Juifs apportent aux troupes françaises une aide utile et intelligente et aucun cas d'hostilité n'a pu leur être reproché. Beaucoup d' entre eux se distinguent en combattant dans les rangs de l'armée française ; je n'en citerai ici que quelques-uns, l'énumération complète en serait beaucoup trop longue :
Aaron, Carrus, Baranes, Mayer, Darmon, Toubol, Aboucaya, A'mar, Dayan, Albaz, Cohen , tué à la prise de Mostaganem , Levy prisonnier à Sidi-Brahim , Ayas promu chevalier de la Légion d'honneur, Allègre mort à la prise de Bougie après avoir été promu au grade de chef d'escadron et officier de la Légion d'honneur.
Chaque fois que les Arabes sont contraints d'abandonner une ville ils pillent et brûlent toutes les synagogues et maisons juives.
Tout en fournissant si brillamment ces témoignages de fidélité et d'amour à la France, les Juifs s'efforçaient de s'adapter aux moeurs françaises ; ils adoptaient les vêtements européens et demandaient leur admission dans les écoles françaises.
Toute nation conquérante a le plus grand intérêt à s'assimiler les populations conquises pour éteindre tout sentiment de vengeance et à les considérer comme de véritables nationaux pour accroître son influence. C'est le système appliqué dès l'antiquité par les Romains et adopté par la Révolution Française.
La France poursuit progressivement l'assimilation des Juifs Algériens. Par une ordonnance du 28 avril 1841, les rabbins se voient retirer toute compétence au point de vue criminel et commercial.
L'Israélite a des représentants dans les Assemblées muricipales et départementales ; il peut obtenir son admission dans les rangs de l'armée française. Aucun heurt ne se produit. Le Juif accepte d'être soumis à la loi française ; il est juste d'ajouter qu 'aucune contradiction dans la loi française et la loi hébraïque ne vient faire obstacle à ce désir d'assimilation. Aucune protestation ne s'élève contre la suppression de leurs juridictions anciennes.
Une ordonnance du 9 novembre 1845 institua un consistoire à Alger, Oran et Constantine, dont les membres nommés par le gouvernement, devaient veiller à ce que les enfants juifs soient instruits et exercés à des professions utiles et particulièrement agricoles. Le collège d'Alger comptait 14 % d'élèves juifs dès les premières années de son établissement.
Le loyalisme de nos pères se manifestait en toute occasion ; c'est ainsi que le 8 février 1846, ils présentèrent l'adresse suivante à Louis Philippe : « Votre Gouvernement a éloigné de nous l'ancienne administration. Nous habitions la vallée des ténèbres et de la mort , car la véritable justice n'existait pas. Des hommes mouraient sans jugement , sans justice ; d'autres perdaient leur fortune sans droit ni loi. Mais maintenant le soleil
s'est levé , car la justice et la vérité marchent ensemble sur la terre. » Louis Philippe leur répondait ; « Ainsi que l'eau qui tombe goutte à goutte finit par percer le rocher le plus dur , de même l'injuste préjugé , qui vous poursuit , s'évanouira devant le progrès de la raison humaine et de la philosophie. »
La France avait besoin de grossir le nombre de ses nationaux en Algérie. L'arabe restait hostile à toute assimilation ; sa religion , ses moeurs constituaient des obstacles insurmontables ; le juif , au contraire , s'efforça de se dépouiller de tous les défauts, dont il portait l'empreinte, depuis tant de siècles d'esclavage et de misères et, grâce à son intelligence, à son ardent amour du travail, à sa probité , il sut bien vite s'adapter à la mentalité française. Le baron Baude constatait que le Juif appréciait comme il convenait le bienfait de la révolution qui s'opérait pour lui. « Par ses qualités , disait-il , le Juif est appelé à jouer un rôle important en Afrique. La puissance de leur union et de leurs relations , la connaissance de la langue arabe lui donne une grande facilité d'accès auprès des Musulmans ; beaucoup d'Israélites cessent de se livrer au brocantage et embrassent des professions utiles. Par la supériorité de leur intelligence, par la réciprocité de confiance qui règne entre eux, les Juifs sont appelés à lier par un vaste réseau l'Afrique à l'Europe , à servir de véhicule à notre influence commerciale er politique et à rendre sous cette forme à la France une partie du bien qu 'ils ont reçu d'elle ».
De nouvelles et nombreuses étapes pour aboutir à la qualité de citoyens français vont être franchies pendant les années qui vont suivre.
Une loi du 16 juin 1851 complétée par la loi du 23 mars 1855 fait régir par le code civil les transmissions de biens intéressant les Juifs. Un décret impérial du 27 octobre 1858 réorganisait les conseils municipaux et généraux et instituait l'entrée de l'élément indigène dans ces assemblées.
- Le Conseil général de Constantine et celui d'Oran adoptaient en 1858 et 1859 des voeux tendant à la naturalisation collective et immédiate des Juifs algériens.
- Le Conseil général d'Alger soulignait, la situation équivoque dans laquelle ils se trouvaient, les nombreuses preuves de patriotisme qu 'ils avaient manifesté et demandait la naturalisation individuelle en attendant qu'une loi intervint sans retard pour accorder la naturalisation collective.
La naturalisation individuelle n'était pas une mesure satisfaisante. Comme le remarquait Varnier elle jetait le trouble dans les intérêts des familles en maintenant les non naturalisés sous la loi de Moïse et en soumettant les naturalisée à des lois qui changent chaque jour. Tous ces voeux étaient renouvelés d'année en année.
En 1860, au cours du voyage de Napoléon III en Algérie, les Juifs d'Alger lui remirent une pétition couverte de plus de 10.000 signatures et ainsi conçue : « Les soussignés, israélites algériens, supplient Votre Majesté de les déclarer Français. Inspirés avant tout par nos sentiments de reconnaissance et d'amour pour la France qui nous a délivré d' une tyrannie oppressive et barbare, nous déclarons solennellement accepter , clans leur entier , les décisions du grand Sanhédrin, réuni par Napoléon Ier - Les magistrats savent dans quelle proportion nous occupons la justice répressive , les fonctionnaires de l'enseignement public si nous sommes avides d'instruction pour nos enfants , les chefs de l'administration publi que si nous sommes des hommes d'ordre , industrieux, utiles au commerce et associés de coeur , à la prospérité de l'Algérie. Nous nous en remettons à leur témoignage.
Une dernière considération , c'est notre douleur d'être une chose sans nom dans la division des habitants du globe, d'être étrangers dans les lieux qui nous ont vu naître et de n'avoir pas de patrie tout en comprenant ce qu'est une patrie. Et comment ne comprendrions nous pas le sens magique de ce mot lorsque nous vivons à l'ombre du drapeau français ». 
 
Napoléon leur répondit : "Bientôt j' espère, les Juifs seront citoyens français."
 
Les Juifs ne cessent pas un seul instant de réclamer cette qualité et l' unité de législation ; ils n'étaient nullementpoussés par l'intérêt politique ; l'Algérie n'avait pas encore de représentants élus dans les assemblées législatives ; ils voulaient simplement sortir de la situation fausse dans laquelle ils se trouvaient. En 1864, ils adressent au Sénat une pétition , ainsi conçue :
«Nous venons solliciter autant de votre justice que de la générosité, qui caractérise tous vos actes, d'achever l'oeuvre commencée,  de proclamer notre assimilation définitive avec nos frères de la mère patrie, de nous élever en un mot à la dignité de citoyens, objet de nos voeux les plus ardents, de nos chères espérances et de nos aspirations les plus constantes et les plus vives.
Pour que vous preniez en considération notre pétition, pour que vous nous fassiez jouir enfin de la qualité de citoyen français que nous réclamons depuis bien des années, quels autres titres pourrions nous faire valoir à votre bienveillance qu'un dévouement inaltérable à la France, qu 'un vif désir de la servir et de mourir pour elle, de contribuer dans la limite de nos forces à sa grandeur et à sa prospérité, de nous glorifier de ses nobles destinées et d'être unis à jamais par les liens les plus étroits à ses enfants, les Français, nos frères, nos libérateurs.
Comment pourrait-il en être autrement ? N'est-ce pas de la France qu 'est venu notre salut ? N'est-ce pas la France qui a daigné nous tendre la main et nous convier par l' organe de son premier corps judiciaire à participer aux avantages dont jouissent nos frères,
les Français ! »
 
La Cour de Cassation , en effet , par un arrêt du 15 juin 1864 leur avait reconnu la qualité de Français.
Toutes les plus hautes personnalit és associaient leurs efforts et reconnaissaient que le Juif était digne d' obtenir la qualité de citoyen Français. De Fonvielle pouvait dire : « Est-il nécessaire d'énumérer les preuves de dévouement que les Juifs nous ont données, avant même que la conquête ne fut consommée, lorsqu 'il ne s'agissait encore que de la préparer.
Ne les voit-on pas à l'oeuvre, mettant en action la merveilleuse flexibilité de leur génie commerciale et comprenant admirablement toutes les ressources de notre civilisation. Ne sont-ils pas les propagateurs zélés de notre influence , les agents infatigables de nos desseins ?
Ils rêvent l'extension de notre domination , car ils ont des coreligionnaires à délivrer clans une autre région barbaresque. Pourquoi ne pas agglomérer à notre noyau colonial des éléments si précieux ? »

La presse algérienne ne restait pas indifférente à la question ; elle était unanimement favorable à la mesure projetée. 
Un sénatus-consulte du 14 juillet 1865 va faire franchir une nouvelle étape en déclarant dans son article 2 "l'indigène israélite est français ; néanmoins il continue à être régi par son statut personnel (c'est-à-dire par la loi mosaïque) , il peut être admis à servir dans les armées ; il peut être appelé à des fonctions ou emplois civils ; il peut , sur sa demande, être admis à jouir des droits de citoyen français, dans ce cas, il est régi par la loi française".
Au moment de l'examen de ce sénatus-consulte par le Sénat, M. Delangle, rapporteur , s'exprimait ainsi : "Il n'est pas loin le moment où une population , chez qui le sentiment de l'honneur est ardent, ressentira un légitime orgueil à partager, sans restriction, les destinées d' une nation qui tient dans le monde civilisé une si grande place. Avant la conquête , la situation des Juifs était précaire et misérable. L'administration et l'armée ont bien assuré la liberté de leurs mouvements et leur sécurité ; ils s'en sont montrés reconnaissants et ont su rendre d' utiles services.
Commuent douter qu'avec l'intelligence qui leur est propre, l'esprit ouvert au progrès ils ne se hâtent de se confondre avec la nation qui tient le flambeau de la civilisation et dont le Premier soin a été de les affranchir du joug sous lequel ils gémissaient."
 
La naturalisation individuelle était donc officiellement permise200 demandes environ furent présentées.
C'est là un des principaux griefs qui aient été adressés aux Juifs. Faut-ils penser , comme beaucoup l'ont prétendu , que la masse des Juifs ne désirait pas sincèrement la qualité de citoyens français, qualité que seuls leurs dirigeants voulaient leur imposer ? Ce grief était injuste. L'obtention de la naturalisation individuelle comportait une foule de formalités compliquées et coûteuses.
Il fallait tout d'abord faire établir un acte de notoriété devant le juge de paix, puis obtenir les approbations du préfet et du gouverneur général , adresser ensuite au ministre de la Justice une requête qui devait être soumise à l'examen du Conseil d'Etat et qui était suivie d' un décret rendu par l'Empereur. On comprend combien toutes ces exigences administratives pouvaient rebuter de pauvres travailleurs qui souhaitaient cependant bien ardemment être régis par la loi française. La naturalisation individuelle venait bien inutilement compliquer la situation juridique des Juifs.
Une même famille pouvait compter parmi ses membres des naturalisés et des non naturalisés. Les tribunaux, chargés de trancher les différends qui pouvaient surgir, se trouvaient dans un profond embarras par suite du conflit de législation. Les Juifs ne cessent pas de solliciter la naturalisation collective. Aucune note discordante ne se manifeste chez eux pas plus d'ailleurs que parmi les Français. La naturalisation générale était réclamée comme un acte de justice par les Juifs et comme un acte d'intérêt national par les Français.
Le Conseil général d'Alger émet en 1869 le voeu suivant : « Considérant que chaque jour voit augmenter les inconvénients et difficultés que fait naître le statut personnel des Juifs algériens ; « Considérant qu 'il est temps de faire cesser toutes les incertitudes que le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 a fait naître et qui sa traduisent fréquemment par des procès longs et dispendieux; « Considérant que les nombreuses preuves de patriotisme et les services rendus par les indigènes israélites commandent impérieusement que le titre de citoyen français soit accordé sans retard, « Le Conseil général demande l'assimilation générale des israélites indigènes de l'Algérie. »

La France devait tendre à cette assimilation générale et progressive de toutes les populations indigènes de l'Algérie ; elle devait s'occuper d' abord des israélites parce qu'ils sollicitaient l'assimilation complète ; parce qu'ils étaient peu nombreux et surtout parce qu 'ils étaient beaucoup plus près des moeurs françaises.
 
Cet exemple devait fournir la preuve aux Arabes que, tout en accordant la qualité de citoyen français, la France savait assurer la liberté de conscience de culte, établir une distinction entre la patrie politique et la patrie religieuse. Les Juifs rempliraient le rôle de courtier en civilisation ; leurs rapports avec les tribus les plus éloignés leur avaient permis de propager les idées françaises ; ils devaient faciliter les expéditions commerciales à travers l'Afrique Centrale. Quant aux Européens qui venaient s'installer en Algérie, ils ne s'y établissaient que le
temps nécessaire pour amasser une fortune dont ils allaient jouir ensuite dans leurs foyers d' origine. Pareil inconvénient n'était pas envisagé en ce qui concerne l'Israélite né dans le pays qu 'il n'aurait plus de raison de quitter.
Telles étaient les opinions émises par la plupart des autorités , 
des publicistes et des économistes de l'époque. La Chambre de Commerce de Rouen pouvait également affirmer : «Les Juifs sont les seuls qui peuvent détourner au profit de la France une partie du courant des échanges dont les Anglais ont la plus large part.»
Mais alors pourquoi ces tergiversations et n'accorder qu'une naturalisation individuelle. L'esprit de la législation française, disait-on , répugnait à un acte collectif et hâtif. Cet argument peut être aisément réfuté par des précédents historiques. Très fréquemment, les rois de France ont octroyé le droit de naturalité à des villes , à des nations entières.
 
L'Assemblés Nationale, elle aussi, a naturalisé les Juifs par un acte général. La Convention naturalisa à son tour et en bloc les Belges et les Liégeois. On a manifesté également la crainte de voir les fonctions publiques , judiciaires ou administratives, être envahies par les Juifs. Cette appréhension était puérile ; il était difficile , en effet , de concevoir qu'une population de 30.000 individus put s'emparer de tous les pouvoirs. On a enfin soutenu que le Juif avait fait preuve de lâcheté en abandonnant de suite les Arabes assiégés et en se portant au devant des troupes françaises ; on pouvait craindre qu 'il ne s'attachât jamais aux populations au milieu desquelles il vit. Cette conclusion peut être facilement repoussée ; il suffit de rappeler que le Juif n'avait alors aucune patrie, puisqu 'on lui refusait toute nationalité et qu 'il était continuellement sur le point d'être chassé.
Le 7 mars 1870, le comte Léopold le Hon , dans son interpellation sur les affaires algériennes, s'adressait ainsi au gouvernement : «Les Israélites algériens demandent à être naturalisés en masse ; il n'y a pas de bonnes raisons pour leur refuser la faveur qu'ils sollicitent ; il y a une très grande nécessité de ne pas retarder cet acte et de faire rentrer dans le sein de la grande famille française les 38.000 Juifs qui sont aujourd'hui dans la condition difficile que leur a fait le sénatus-consulte de 1865.
Le 8 mars 1870, Emile Olivier, ministre de la Justice, transmet au Conseil d'Etat un projet de décret accordant aux Israélites algériens en masse la qualité de citoyen français. Le Conseil d'Etat craignant que le décret ne vienne rompre l'équilibre établi entre les Musulmans et les Juifs et que ces derniers n'acquièrent une prépondérance électorale trop grande, demanda l'avis du Gouverneur général, des trois préfets et des trois généraux de division de l'Algérie. Les généraux d'Alger et d'Oran et le préfet d'Alger adoptent le projet de naturalisation collective ; le général de Constantine et les préfets d'Oran et de Constantine proposent qu 'ils soit sursis à la mise en application du décret. MacMahon proposa que la mesure envisagée soit prise sous forme de loi plutôt que sous forme de décret. Le Gouvernement hésita sur la suite à donner à son proj et et la guerre contre la Prusse vint interrompre son examen.
Le 4 septembre 1870 la révolution éclate, suivie de l'avènement de la République et de la constitution d'un Gouvernement National composé de Jules Favre, Jules Ferry, Pelletan , Rochefort , Glais Bizoin , Gambetta , Crémieux, etc..
Favre et Crémieux sont chargés d'organiser en Algérie un gouvernement civil et une assimilation complète avec la Métropole.
La proclamation de la République fut accueillie avec enthousiasme en Algérie. Un comité démocratique prend la direction de la Colonie. Warnier est nommé préfet le 6 septembre 1870 ; des troubles se produisent ; le drapeau rouge est déployé et une organisation communaliste avec Vuillermpz en tête se dispose à s'emparer des pouvoirs.
Le 28 septembre 1870, le Gouverneur intérimaire Walsin Estherazy est expulsé.
Toutes ces transformations apportées si hâtivement dans le Gouvernement de la France et de l'Algérie ont laissé en suspens l'élaboration définitive du projet présenté par Emile Olivier. Ce dernier , décidé à naturaliser en masse les Israélites algériens, n'était plus arrêté que par une question de droit de pure forme.
La naturalisation devait-elle être accordée par un décret ou par une loi ? Trois mois plus tard , le 24 octobre 1870, un décret de la délégation de Tours du Gouvernement de la Défense Nationale déclarait citoyens français les Israélites indigènes de l'Algérie. Ce décret signé par Gambetta, Crémieux, Glais Bizoin et Ferrichon , était anisi conçu : "Les Israélites indigènes des département de l'Algérie sont déclarés citoyens français. En conséquence leur statut personnel et leur statut réel seront , à compter de la promulgation du présent décret , réglés par la loi française, tous droits acquis jusqu 'à ce jour restant inviolables. Toutes dispositions législatives, tous décrets, sénatus-consultes, règlements ou ordonnances contraires sont abolis."
C'est bien à tort qu 'il est appelé décret Crémieux ; ce dernier dut, en effet , le contresigner en sa qualité de ministre de la Justice, mais il est bon de souligner que le décret porte également les signatures de Gambetta, Glais Bizoin et Ferrichon. Crémieux appliquait simplement son programme politique qui était d'ailleurs celui de tous les membres du Gouvernement de la Défense Nationale.
Voilà donc les Israélites algériens citoyens français.
Cette mesure préconisée par la grande majorité des Français et des plus hauts fonctionnaires, sollicitée pendant plus de trente ans, étudiée et adoptée par toutes les assemblées municipales, départementales et législatives semblait devoir satisfaire tout le monde. Il n'en a rien été. De nombreux griefs vont être formulés contre ce décret , griefs que nous allons examiner et que nous réfuterons facilement.
Le premier mouvement hostile qui se manifeste contre le décret est causé par la période troublée des élections municipales.
Dubouzet, commissaire extraordinaire de la République , se voit contraint le 18 juillet 1871 de dissoudre le Conseil municipal d'Alger. De nouvelles élections doivent avoir lieu ; les Juifs algériens pourront-ils y prendre part , quoique non encore inscrits sur les listes électorales. Dubouzet opine pour l'affirmative. Le parti républicain des violents s'attaque alors au décret , car il savait que le juif est ennemi de toute violence.
Le 14 février 1871, le Gouvernement de la Défense Nationale fait place au ministère Thiers ; les populations algériennes subissent le contre-coup des défaites subies par les armées et par 
les changements successifs de Gouvernement.
C'est alors que se produit la fameuse insurrection arabe. La naturalisation accordée aux Juifs, a-t-on dit , a failli nous coûter l'Algérie. Les Juifs sont naturalisés, les Arabes se révoltent ; il est facile alors d'établir une relation entre le décret et l'insurrection. Remarquons de suite que celle-ci se produit en 1871, c'est-à-dire 5 mois après la promulgation du décret.
Rappelons également que d'autres insurrections (en 1864 notamment) s'étaient produites avant que les Juifs n'aient obtenu la qualité de citoyen français. Les Arabes n'attachaient aucune importance à la naturalisation qui leur était d'ailleurs offerte et le décret les laissait complètement indifférents ; ils l'ont considéré plutôt comme un acte de faiblesse de la part de la France. Les Français, disaient-ils, n'ont pas élevé les Juifs à leur niveau , ils se sont plutôt abaissés à eux.
Faut-il rappeler que l'insurrection a éclaté dans des régions où aucun juif ne résidait (Kabylie , Aurès, Sud Constantinois) . La vérité est que l'insurrection se serait produite avec la même violence et la même intensité, alors même que le décret de naturalisation n 'aurait pas été promulgué. Seuls les réactionnaires, hostiles à l'établissement d' un gouvernement républicain et civil , ont persisté à rendre les Juifs responsables de l'insurrection arabe.
Le préfet Lambert avise le Gouvernement central que les troubles sont causés par le décret. Le Gouverneur général Gueydon en demande l'abrogation le 1"' mai 1879 prétextant qu 'il a été une cause de jalousie chez les Arabes et faisant ressortir que les Juifs concentrés dans les grandes communes seraient bien vite les maîtres des Assemblées municipales. Nous avons déjà vu combien ces griefs étaient injustifiées.
Quoiqu 'il en soit, le 21 juillet 1871, Lambrecht, nouveau ministre de l'Intérieur , propose l'abrogation du décret, affirmant qu'il fallait l'oeuvre du temps pour que l'assimilation totale fut décrétée en bloc, que les Juifs répugnaient au service militaire, qu'ils restaient soumis à l'influence de leurs chefs religieux et qu 'ainsi ils voteraient toujours en masse pour le même candidat. Crémieux, qui n'avait pas été réélu à l'Assemblée Nationale, fait paraître deux opuscules adressés à tous les députés. Il soulignait les progrès accomplis par les Juifs dans toutes les branches de l'activité, que la population juive ne dépassait pas 35.000 individus contre 125.000 européens , que les Juifs votaient pour les radicaux à Alger et pour les modérés à Constantine, qu 'ils avaient accompli (quoique non tenus de le faire) des actes de bravoure pendant la dernière guerre (1870) , qu 'il y avait chez les Juifs des exaltés et des modérés qui ne sauraient s'unir complètement que devant l'intérêt de la Patrie.
Crémieux terminait ainsi : "Pour satisfaire un détestable préjugé religieux , vous voulez dégrader ceux que nous avons relevés. Insensés ! qui dans ces temps désastreux, où notre gloire militaire vient de subir de si cruels revers, voulez-vous ravii encore à notre France la gloire qui lui appartient dans le mouvement si magnifique qu 'elle a imprimé à la civilisation, la gloire si élevée d'avoir la première levé le merveilleux drapeau de la philosophie , qui , en proclamant l'égalité des cultes, a établi entre les hommes la véritable fraternité.» 
De leur côté, les gros industriels et manufacturiers de la Seine- Inférieure adressaient à Thiers une protestation énergique contre l'abrogation du décret de naturalisation , en faisant ressortir combien les Juifs Algériens étaient attachés à la Métropole et combien ils appréciaient leur initiative dans le développement des affaires.
L'Assemblée Nationale nomme une commission d'enquête. Le préfet Lambert reconnaît que de nombreuses révoltes arabes s'étaient déj à produites avant le décret. Le préfet Bouzet n'indique pas la naturalisation accordée aux Juifs comme la véritable cause de l'insurrection. Le général Lallemand, commandant supérieur , affirme que la cause principale a été l'extension trop rapide du régime civil. Le maire d'Alger, Vuillermoz, déclare que le décret n'aurait suscité aucune hostilité si les Juifs avaient voté en faveur des réactionnaires. Le général Augereau , commandant de la subdivision de Sétif , indique comme causes de l'insurrection la guerre franco-allemande, le départ des troupes d'Algérie et la fièvre révolutionnaire. Le préfet Hélot , l'amiral Fabre la Maurelle , le capitaine d'Hincourt , tous hostiles à la révolution du 4 Septembre, soutiennent que les Juifs sont les seuls responsables de l'insurrection. Le premier président Pierrey reconnait que la fermentation des Arabes remonte bien avant le décret.
Les Arabes eux-mêmes reconnaissent n'avoir que d'excellentes relations avec les Juifs. Les notables musulmans de Constantine affirment le 20 juin 1871 que le décret n'a ni froissé ni excité les colères des Arabes, que la mesure prise était rationnelle, appréciée et approuvée par tous les gens sensés et que, d'ailleurs, 
la porte était ouverte à tous les Arabes désirant se faire naturaliser.
Le Gouverneur Général Gueydon , revenant sur ses premières demandes, se bornait à exiger que seuls les Israélites indigènes nés en Algérie avant la conquête et leurs descendants auraient le droit de vote.
Un décret du 7 octobre 1871 lui accordait satisfaction.
Un an après, le 20 octobre 1872, Alger nommait Crémieux député de l'Assemblée Nationale. Le 21 mai 1874, Crémieux exposait devant l'Assemblée que la naturalisation des Juifs n'était nullement son oeuvre mais bien celle du gouvernement impérial ; il tenait, en outre , à en remercier la France. "C'est la France, disait-il , qui nous a fait ce que nous sommes. Ah ! il faut que vous me pardonniez , Messieurs, quand je vous dirai que je ne crois pas qu 'il y ait quelqu'un de l'Assemblée qui puisse aimer la France comme je l'aime. Pas un Juif algérien ne s'est récrié contre le décret de naturalisation ; ils l' ont tous accepté avec bonheur. Qu'on me fasse connaître depuis trois ans qu 'ils ont l'honneur insigne d'être français devant quel tribunal de répression un Juif a été traduit. Qu'on me dise ceux qui ont mal mérité de cette belle et magnifique création , qui leur a été faite de citoyens français ? Vous n'en signalerez pas un. Ce sont de braves gens que vous avez pour concitoyens, de bons Français au nombre de 35.000 que j' ai donnés à notre chère patrie. Laissez-moi vous dire que je vous ai donnés 35.000 Français au moment où notre chère patrie était dépouillée d' un si grand nombre d'excellents citoyens, fils glorieux et dévoués de la France, dans ces départements que nous n'aurons pas perdus pour toujours. Vous les avez acceptés ces 35.000 concitoyens ; ils seront dans vos rangs et soyez sûrs qu'ils ne vous déshonoreront pas".
Depuis, les Juifs Algériens vivent dans une tranquillité parfaite. Leur dignité , leurs mérites leur donnent place sur les listes de candidats aux élections municipales. En 1881, cependant , une scission se produit entre les républicains ; les Juifs , ennemis de toute violence, se séparent des radicaux qui sont battus aux élections des troubles assez violents éclatent en 1884 ; les rancunes électorales en furent la véritable cause, mais ce ne fut pas le motif avoué.
Le 20 juin 1884 de jeunes conscrits algériens choisissent une commission composée de cinq juifs et de sept non juifs qui devait se charger d' organiser un bal. Aucun juif n'est propesé comme membre du bureau ; des protestations s'élèvent qui donnent lieu à des bagarres. La presse réactionnaire s'empare de l'incident et attise les haines. La population ' est déchaînée et des pillages se produisent dans le quartier juif. La fermeté des autorités permet de rétablir le calme cinq jours après ; c'est alors que se forme la première ligue antijuive qui n'a qu'une durée éphémère.
En 1889 un nouvel échec électoral des réactionnaires est l'objet de troubles passagers. A part ces quelques violences, qui se produisent chaque fois au moment des périodes électorales, on peut dire que les Juifs ne sont plus différenciés de leurs concitoyens des autres cultes ; ils suivent le même enseignement, soit dans les écoles communales, soit dans les lycées et collèges, subissent avec succès examens et concours , acquièrent des fonctions élevées dans les administrations, obtiennent les plus hauts grades dans l'armée, occupent un rang convenable dans le commerce, dans la magistrature, au barreau, etc..
En 1898 la demande de révision du procès Dreyfus causa une vive effervescence en France, mais on peut dire que c'est en Algérie qu'elle se manifesta avec le plus d' acuité. Ce sont là des faits récents qui sont encore vivaces dans votre esprit et que je me borne à vous retracer aujourd'hui très brièvement- Des polémiques violentes étaient échangées entre républicains et nationalistes , entre dreyfusards et antidreyfusards. La presse attise les passions.
Les étudiants, après avoir conspué Zola , manifestent en ville et se rendent chez le recteur pour demander le renvoi de M. Lévy, professeur de droit romain. Sur le refus du recteur et du Ministre de l'Instruction publique, les manifestations redoublent et le conseil de l'Université prononce diverses sanctions, entr 'autres l'exclusion de M. Régis de toutes les facultés françaises pendant une période de deux années. Poussé par la presse algéroise, Régis se pose en victime des Juifs qu'il représente comme étant les maîtres de la France et de son gouvernement et entreprend une série de réunions publi ques au cours desquelles il les abreuve d'ignobles accusations. La tourbe algérienne l'écoute avec plaisir. Grisé par ce succès Régis fonde une ligue antijuive et un organe intitulé « L'Antijuif » dans lequel l'émeute et le pillage étaient préconisés contre les Juifs. Un de nos coreligionnaires, Schebat , est tué en pleine rue , en plein jour. Aucun Juif ne peut s'aventurer en ville sans être provoqué; des colporteurs se voient interdire l' entrée des villages ; les ouvriers sont chassés de leurs ateliers ; les commerçants en plein air dans les marchés publics sont contraints d'abandonner leur travail ; la misère des classes indigentes et des petits journaliers s'accroît chaque jour.
Les pouvoirs publics ne parviennent plus à rétablir l'ordre , malgré l'aide de la force publique et de l'armée. La fièvre antisémice ne semble épargner personne. Toutes les assemblées élues émettent des voeux tendant à l'abrogation du décret de naturalisation des Juifs et même à l'expulsion pure et simple de ces derniers. Ce déchaînement des haines était avantageux pour beaucoup. C'est ainsi que le clergé catholique put accroître son influence sur la masse des étrangers ignorants et superstitieux. De nombreux pensionnats congréganistes se sont créés à cette époque grâce à cette haine si âprement entretenue. Ce fut surtout les candidats à la députation qui surent le mieux et avec le plus grand zèle prolonger cette effervescence. Leur ardeur fut couronnée de succès et l'Algérie envoya au Parlement pour la représenter ceux qu 'on a gratifié du nom "les quatre mousquetaires gris".
Dans une interpellation au Gouvernement, le député Rouanet sut, d' une façon magistrale, prouver que le décret appelé décret Crémieux était inattaquable , que les Juifs algériens étaient véritablement dignes d'être citoyens français, que le cléricalisme était en grande partie coupable d'avoir entretenu les troubles, qu'aucune animosité particulière n'était manifestée par les Arabes contre les Juifs , que ceux-ci avaient su s'adapter rapidement à la mentalité française, bien mieux que beaucoup d'européens venus s'installer en Algérie, que les Juifs obtenaient de très nombreux succès scolaires, que les statistiques fournissaient une preuve éclatante que le Juif était bien moins souvent que les autres Algériens poursuivi devant les tribunaux , qu'il était un soldat parfait , un commerçant honnête et que, loin d'être composée uniquement de riches, la population juive était plutôt misérable et indigente.
Le ministère Waldek-Rousseau arrive au pouvoir et donne à la France et à l'Algérie la tranquillité si nécessaire à la vie des peuples. A partir de ce moment les Juifs algériens ont repris le rang qui leur était dû dans la société française.
Ils partagent avec leurs concitoyens les destinées de la nation commune. Un des préjugés les plus ancrés dans l'esprit de nos ennemis le plus difficile à déraciner était celui de suspecter less sentiments de patriotisme. La grande guerre , qui vient de se terminer, nous a fourni l'occasion de répondre d' une façon péremptoire à ce dernier grief.
Tous les Juifs algériens, appelés sous les drapeaux , ont répondu à l'appel de la mère patrie. Les actes de bravoure qu 'ils ont accompli sont innombrables, vous les connaissez. Je ne veux en rappeler aucun pour ne pas raviver la douleur des parents de ceux qui sont morts si glorieusement pour la France. Avec de tels exemples il n'est plus permis à qui que ce soit de dénier aux Juifs algériens le sentiment le plus noble qui existe "le patriotisme".
 
L'exposé que vous avez bien voulu écouter avec une si bienveillante attention , malgré son aridité, se termine ici-
Il eut fallu de nombreuses heures pour examiner sérieusement les difficultés presque insurmontables que nos ancêtres durent vaincre pour obtenir enfin le titre si précieux de citoyen français, pour noter comme il convenait les éloges merveilleux qui leur étaient décernés par les plus grands esprits , pour marquer l'inanité et le vide des calomnies que leurs ennemis leur prodiguaient , pour souligner la grandeur d'âme avec laquelle ils ont supporté si dignement les injures dont ils ont été l' objet pendant plusieurs siècles, pour rappeler , en un mot, leur vie si remplie de belles actions.
Pour arriver à être considéré comme les égaux des individus composant la nation la plus civilisée, il fallait qu'ils fussent des hommes doués des sentiments les plus nobles, les plus purs ; nous pouvons véritablement être fiers d'être leurs descendants.

Lucien-Lévi BRAM.
 
 
GRÉGOIRE — Essai sur la régénération des Juifs .
AUMERAT — L'antisémitisme d' Alger .
J. COHEN — Les Israélites d'Algérie .
E. DURIEU — Les Juifs Algériens .
E. FOREST — L'insurrection de 1871 .

 

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