logo_transparent1.png

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bienvenue sur le site de l’association MORIAL

Notre objectif : sauvegarder et transmettre la mémoire culturelle et traditionnelle des Juifs d'Algérie. Vous pouvez nous adresser des témoignages vidéo et audio, des photos, des documents, des souvenirs, des récits, etc...  Notre adresse

 e-mail : morechet@morial.fr -  lescollecteursdememoire@morial.fr

L’ensemble de la base de données que nous constituons sera  régulièrement enrichie par ce travail continu de collecte auquel, nous espérons, vous participerez activement.  L'intégralité du site de Morial sera déposée au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme (MAHJ) à Paris, pour une conservation pérenne .

Tlemcen, le kiosque à musique au centre ville
Médéa : rue Gambetta (1945)
Alger : rue d'Isly (1930)
Une oasis à Ouargla (Territoire du Sud algérien)
La Grande Poste d'Alger (Photo J.P. Stora)
Square Bresson
Lycée E.-F. GAUTIER D'ALGER
Service Alger - Bouzareah
Alger : le marché de la place de Chartres
MEDEA - Le Café de la Bourse
Guyotville - La Plage

Le webroman-feuilleton du site internet de MORIAL

Afin de pallier la morosité ambiante, nous vous proposons trois fois par semaine : lundi, mercredi et vendredi (sauf Yom Tov), des extraits du dernier ouvrage de notre Président d’honneur, Didier Nebot. A travers cette fable fantastique, bientôt en librairie,  vous pourrez vous évader du contexte anxiogène actuel.
Episode 6 : Et Louisa.

Par un étrange caprice du sort, mon grand-père quitta cette terre le 2 août 1492, jour maudit entre tous puisqu’il marqua la fin du judaïsme en Espagne.

Plus rien ne retenait ma famille dans ce pays, c’était le moment de fuir. Malheureusement, le destin s’acharna contre nous. Ma sœur et ma mère furent assassinées avant notre départ par des marauds dans notre maison de Valence. Mon père et moi étions désespérés.

Après l’enterrement, nous rassemblâmes nos économies, de la nourriture, des vêtements chauds et, à bord d’une charrette, nous nous dirigeâmes vers le sud. Nous arrivâmes dans une petite baie que mon père avait repérée quelques jours plus tôt. Il y avait là quelques habitations et quatre ou cinq bateaux. Un pêcheur, l’air méfiant, vint à notre rencontre. Mon père l’implora : “ Un bateau par pitié, votre prix sera le mien, je dois sauver mon fils.” Il lui tendit quatre pièces d’or, que l’homme accepta sans trop réfléchir. Nous mîmes la barque à la mer, mais un violent ressac manqua de nous faire chavirer et mon père se brisa deux côtes. Le vent nous éloigna de la terre et bientôt l’horizon se confondit avec l’infini.

David pleurait tout en se remémorant la terrible épopée.
« Nous avancions sur les flots ; le bateau tressautait sur les vagues et la blessure de mon père s’aggravait. Je le relayais à la barre le plus souvent possible, mais il s’affaiblissait de jour en jour, s’asphyxiait, toussant de plus en plus. Il savait qu’il allait mourir quand il m’adressa ces paroles : “ David, petit David, je vais te quitter. Lorsque tu arriveras à bon port, si la foi ne te quitte pas, tu vivras en homme libre, libre d’honorer ton Dieu, d’observer les rites que nous ont transmis nos pères, dans la dignité. Tu es solide, mon fils, fais briller la flamme et pense à moi quand je t’aurai quitté, quand j’aurai rejoint Rachel, ma tendre épouse, et ma petite Judith. »
David se tut. Le silence se fit pesant, mais il devait poursuivre son récit : il avait besoin de tout dire pour se libérer de son angoisse, de sa douleur.
« Un jour, mon père ne bougea plus. Je me précipitai vers lui, le suppliant de ne pas m’abandonner, mais il n’était déjà plus de ce monde. Je me mis à pleurer, le tenant dans mes bras, sachant que je ne croiserais plus son regard rassurant, que je ne partagerais plus ses sourires complices.
« La mer hurlait et le vent me glaçait les sangs. Je restai ainsi, immobile, perdu, sans réactions. Longtemps, longtemps après, je pus me résoudre à confier son corps aux vagues. Et je me mis à crier, à implorer Dieu. Les jours passèrent. J’avais faim, j’avais froid : “ Aide-moi, aide-moi, j’ai peur ! ”, criai-je au Ciel.
« J’étais prostré. Le soleil me brûlait les paupières ; la nuit je grelotais. J’avais depuis longtemps abandonné la barque aux caprices du courant. Pour me donner du courage, je contemplais parfois la seule richesse que nous avions emportée avec nous : le trophée en bronze que mon grand-père, Lazare, avait gagné à Tolède en se mesurant à des chevaliers chrétiens, dans un tournoi de tir à l’arc.
« Je n’avais presque plus de vivres. Couché sur le pont je revoyais les maisons en flammes, la foule des exilés sur les routes, l’horrible Inquisition. Je cherchais le bras de ma mère, le sourire de ma sœur, la main de mon père, mais ils avaient disparu. Je pleurais. La mer m’entraînait toujours plus loin.
« Un matin, je fus réveillé par l’étrange ballet de dizaines de mouettes. Je me levai d’un bond, je scrutai l’horizon et j’aperçus la terre. Je criai, je chantai, je pris mes parents à témoin qui devaient m’observer du Ciel. Lentement, le bateau s’approcha de la côte, puis il échoua sur la plage. Je pris le trophée, les quelques pages du livre que la tempête avait épargnées, et je me laissai tomber sur le sable. J’étais en terre d’Afrique, je venais d’accoster à Cherchell, dans le royaume de Tlemcen.
« Je ne savais si je devais me réjouir d’être en vie ou me lamenter sur un passé à jamais perdu, sur mes parents que je ne verrais plus. Je n’eus pas le loisir de réfléchir à la question, des brigands m’enlevèrent et me vendirent au Cheik d’Aïn Medhi, la grande ville du M’zab, aux portes du désert. Mais j’ai pu m’échapper et me voilà avec l’espoir de retrouver ma si douce tante Myriam et aussi le sourire de ma cousine Léa qui sont, je le sais, sur cette terre d’Afrique.

Yeousha acquiesça avec compassion et lui proposa, dès qu’il aurait fini de se restaurer, de faire le tour du Mellah pour tenter de glaner quelques renseignements sur Myriam et Léa. Avec un peu de chance, elles se trouvaient peut-être à Fès.
– Et ton oncle est-il toujours en vie ? s’inquiéta Yeousha.
– Il s’appelle Abraham Sananes. Il est aussi discret que ma tante Myriam est exubérante et épanouie. Si Dieu permet que je la retrouve, j’espère sincèrement qu’il sera avec elle, car Myriam aurait le cœur brisé sans lui. Je ne peux imaginer ma tante triste, elle est de ces gens faits pour le bonheur, et qui le créent autour d’eux.

David surprit un éclat particulier dans l’œil de Yeousha. L’évocation de cette femme gaie, généreuse, respirant la joie de vivre avait fait surgir une image dans son esprit. À l’autre bout du Mellah, il lui était arrivé d’acheter de beaux lainages et des toiles fines chez un marchand, et il se souvenait de cette femme au visage d’enfant, au regard malicieux, qui était apparue, et avec elle le soleil dans la boutique. Il n’avait pas oublié le plaisir gourmand qu’il avait eu à négocier les prix avec elle, ni les vêtements superbes qu’il avait taillés dans ces tissus, des habits qui semblaient avoir gardé un peu de sa chaleur.
– Je ne peux jurer de rien, David, je n’ai vu ni mari discret ni jeune fille, mais une femme rayonnante de vie. J’ai humé le parfum du bonheur, comme tu l’as dit. Est-ce ta tante, je ne sais pas, mais ce que tu m’en as dit, me le laisse espérer fortement. Si tu le désires, nous pouvons partir à sa recherche tout de suite.
David, le cœur battant, hocha la tête, muet d’espoir, et ils sortirent.

– Ne t’impatiente pas, nous ne sommes pas encore arrivés, répétait Yeousha. Les magasins les plus proches sont meilleur marché, et celui de ta tante, si c’est bien elle que j’ai rencontrée, ne pratique pas les prix les plus bas.
David acquiesçait, il ne faisait plus cas des ruelles étroites, de l’entassement des familles dans des masures insalubres, ni même de la puanteur des ordures mal brûlées. Il pressait Yeousha d’un pas alerte et serrait les lèvres. Au bout d’un moment l’homme indiqua : « C’est là-bas, au bout de la rue. »
David se sentait défaillir. Il oscillait entre l’appréhension de la déception et l’espérance des retrouvailles. Il fixait du regard une boutique, puis une autre – il y en avait tant –, ces échoppes où les hommes assis en tailleur fabriquaient, tissaient, sculptaient. Il observait tous les visages. Non, il fallait s’attendre à la déception, qui allait être immense. Ne pas y croire, ne pas y croire.
– Celle qui possède une pierre de chaque côté de la porte, dit Yeousha.

Ils entrèrent. La boutique était pleine de monde. Une commerçante affable faisait l’article en roucoulant comme une colombe. David hurla : « Myriam ! »
Un long silence s’ensuivit, puis son nom fut crié à son tour. Il se sentit enveloppé du parfum de sa tante. Les clients se taisaient et regardaient la scène, interdits. Myriam, étourdie, pleurant et riant à la fois, appelait : « Léa ! Abraham ! » Elle serra son neveu à le broyer. Soudain, David se dégagea de l’étreinte de sa tante et se retourna. Il vit un regard planté dans le sien. Tout son être fondit. C’était Léa. Ses yeux qui l’avaient mené jusqu’ici. Les deux adolescents se contemplaient, immobiles. Dans un même mouvement, leurs mains se tendirent et s’unirent puis David, très ému, posa un léger baiser sur la joue de Léa.
Abraham apparut, Abraham l’oublié, vieilli, moins rond, les yeux pleins de tendresse. Myriam s’époumonait, racontant aux clients le miracle de ce neveu qu’elle croyait mort, qu’elle avait quitté trois ans auparavant, le fils de la famille Benavista, l’enfant chéri que Dieu leur avait rendu.
– Et Louisa ? Questionna David.

Myriam se tut. Abraham, la gorge nouée, déclara sèchement qu’elle était morte en arrivant. Elle aurait eu huit ans dans quelques jours. On changea vite de sujet, questions et réponses se succédèrent à un rythme soutenu, l’atmosphère se détendit à nouveau. Yeousha était resté dans un coin, contemplant ces retrouvailles inespérées. Au bout d’un moment, il posa la main sur l’épaule de David et s’apprêta à partir. Mais celui-ci, pour le retenir, se lança dans d’exubérantes louanges :
– C’est grâce à lui, tante Myriam, que je vous ai retrouvés, c’est un homme si généreux, il m’a guidé vers vous. Ô Yeousha ! Comment vous remercier ?
Ce dernier, rouge de confusion, tenta de résister à cette rafale d’éloges, mais Myriam frappa dans ses mains, déclarant aux nombreux clients et badauds postés devant la porte qu’elle fermait le magasin pour fêter ce grand évènement. Quelques minutes après, le calme revint dans la pénombre de la boutique.
Yeousha ne put repartir que bien plus tard, chargé des soies les plus précieuses, de brocarts somptueux et même d’un velours venu de la lointaine Italie. David, en échange, dut promettre de rendre une prochaine visite à son guide. Puis ce fut la fête et tous oublièrent les contraintes, les petites économies, le dur labeur, tout à la joie de la famille reconstituée.

"A suivre"

         

 

             Didier Nebot

 

 

Ajouter un Commentaire

Code de sécurité
Rafraîchir

MORIAL - Association loi de 1901 - Le nom MORIAL est déposé à l'INPI © 2011 Tous droits réservés
Site réalisé Avec joomla Conception graphique et développement : Eric WEINSTEIN