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Bienvenue sur le site de l’association MORIAL

Notre objectif : sauvegarder et transmettre la mémoire culturelle et traditionnelle des Juifs d'Algérie. Vous pouvez nous adresser des témoignages vidéo et audio, des photos, des documents, des souvenirs, des récits, etc...  Notre adresse

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Tlemcen, le kiosque à musique au centre ville
Médéa : rue Gambetta (1945)
Alger : rue d'Isly (1930)
Une oasis à Ouargla (Territoire du Sud algérien)
La Grande Poste d'Alger (Photo J.P. Stora)
Square Bresson
Lycée E.-F. GAUTIER D'ALGER
Service Alger - Bouzareah
Alger : le marché de la place de Chartres
MEDEA - Le Café de la Bourse
Guyotville - La Plage

Le webroman-feuilleton du site internet de MORIAL

Afin de pallier la morosité ambiante, nous vous proposons trois fois par semaine : lundi, mercredi et vendredi (sauf Yom Tov), des extraits du dernier ouvrage de notre Président d’honneur, Didier Nebot. A travers cette fable fantastique, bientôt en librairie,  vous pourrez vous évader du contexte anxiogène actuel.
Episode 5 - "LA VILLE DE FES"

Le voyage dura dix jours. David, du haut de ses dix-sept ans, perdit progressivement la notion du temps et il se sentait maintenant différent de l’adolescent qu’il était encore naguère.

La puissance sereine du désert avait fait de lui un homme parce qu’il avait accepté l’épreuve avec humilité.

À présent, la civilisation l’attendait.

Au pied des montagnes, dans la fertile plaine du Saïs, apparut une forêt de tours, de minarets et de palmiers, ceinturée d’immenses murailles. Il était à Fès, la cité impériale, taillée dans l’ocre et le blanc, édifice abstrait de stucs architecturés en profondeurs infinies. Quel tumulte ! Il crut que jamais il ne supporterait de passer plus d’une journée dans cette ville poussiéreuse, grouillante de rumeurs, et qu’il lui faudrait fuir pour retrouver la paix du désert. Mais il fut vite happé par cette vie nouvelle, et il ne lui resta plus de la noblesse du sud qu’un vague souvenir. Au pied de la Karaouïne, prodigieuse mosquée aux quatorze portes de bronze, ruche bourdonnante d’incantations, grand centre spirituel de l’islam – que la richesse de ses bibliothèques et le renom de ses professeurs avaient rendue célèbre dans tout le Maghreb –, il se sépara avec tristesse de ses trois compagnons de voyage.
– Va, jeune chameau, lui dirent-ils. Nous te donnons le droit de nous quitter dans cette ville de bruit et de fureur. Regarde, tu as presque changé de visage, cela veut dire que ton destin t’appelle. Lorsque nous reprendrons la route, nous penserons à toi. Qu’Allah – enfin, que ton dieu – te protège et te fasse retrouver les tiens. Sauve-toi, et emporte en souvenir ce bracelet d’argent ciselé, qui brille comme la lune s’élevant sur les dunes. Va, jeune chameau !
– Adieu, mes amis, répondit David, ému.
Par cet adieu, il quittait son enfance douloureuse, la paix qu’il avait connue dans les terres protégées du grand Sud, la beauté de ces étendues sans fin. Lui restaient le présent et l’espoir de retrouver sa famille.

Il avança, mal à l’aise, au milieu d’une foule disparate, jusqu’au sanctuaire de Moulay Idriss, le fondateur de la ville. Puis, sans trop réfléchir, il s’engagea dans un lacis de ruelles étroites aux odeurs indéfinies. Ses pas le guidèrent jusqu’à une placette ombragée, dotée d’une fontaine à laquelle il se désaltéra. L’air inquiet, il observa quelques instants les allées et venues de la populace. Il fut pris d’une peur irraisonnée, comme s’il était inscrit sur son front qu’il était un esclave en fuite. Ses yeux bleus, ses cheveux châtains, son teint clair, ses traits fins, si peu fréquents dans de tels lieux, risquaient de le rendre suspect. Seul, perdu dans cette cohue, il n’osait parler à personne. Il lui tardait d’arriver à la Judería, le quartier juif, où il serait en sécurité.

Il se laissa porter par le flot coloré qui déambulait nonchalamment, et se retrouva en plein souk. L’animation était étourdissante, des senteurs fortes et suaves flattaient son odorat ; ici des cris, là des rires, là-bas des danseurs et des conteurs. Près des étals, d’indolents vendeurs chassaient d’une palme flexible des nuages de mouches. Ces scènes détendirent David, qui s’enhardit et demanda son chemin.
« La Judéria ? Non, on l’appelle Mellah ici. C’est au bout de cette rue. »
Il fut surpris du ton méprisant avec lequel les Arabes lui répondirent. Quelle différence avec ses compagnons de route dont le regard ne traduisait nulle haine ! Le Cheik Bensahel, à Aïn Medhi, celui-là même qui l’avait acheté, l’avait toujours respecté. Serait-il ici dans une province d’Isabelle la Catholique ?
Il avança d’un pas hésitant, partagé entre la peur de l’inconnu et l’espoir de retrouver ceux de sa communauté. Il arriva à la hauteur du cimetière juif et s’y arrêta quelques instants, étonné par le nombre important de tombes récentes. Un vieil homme portant une kippa passa devant lui. « Enfin un coreligionnaire ! », se dit David, rassuré. Il l’interrogea.
« La peste et le feu ont ravagé le Mellah l’été dernier, répondit le vieillard. C’était épouvantable, nos morts se comptaient par milliers, nous n’avions même pas de place pour les enterrer dignement ». Et l’homme poursuivit son chemin tout en psalmodiant. David lui emboîta le pas, le cœur serré. Qu’allait-il trouver là-bas ? Quelques instants plus tard il pénétra dans le quartier juif.

Quel contraste avec la ville arabe ! Mêmes ruelles étroites, mêmes enchevêtrements de maisons, mais plus de cris, plus de rires, plus de danseurs, tout semblait étrangement calme. Il constata, horrifié, les dégâts qu’avait occasionnés l’incendie de l’été précédent. L’entassement, la surpopulation, l’hygiène déplorable avaient sans doute aussi contribué à propager l’épidémie de peste. La désolation planait encore sur les maisons modestes; les boutiques sombres des ruelles étriquées et les habitants au regard effaré le mettaient mal à l’aise. Quelle déception ! Comment leur dire qu’il avait attendu ce moment avec impatience, qu’il avait survécu à la mer, traversé le pays du nord au sud, parcouru le désert pour arriver jusqu’à eux, et qu’il était bouleversé de ne rencontrer que la misère d’une communauté éperdue, cernée par la ville arabe... Comment leur avouer qu’ils ne sentaient que poussière et moiteur, qu’oppression et puanteur ? Comment leur confier qu’il avait rêvé d’autre chose ?
Il marchait la tête basse.

Ses vêtements clairs finirent par le faire remarquer. Un homme au visage large et au regard paisible lui toucha l’épaule et l’interpela en hébreu :
« Tu as l’air perdu ; je peux t’aider ? »
Oui, il était perdu, il avait trouvé aide et charité tout au long de son périple, il n’avait jamais été battu ni humilié, Dieu l’avait soutenu à travers chaque épreuve et pourtant cet homme avait prononcé le mot juste : il était perdu. Il avait presque dix-sept ans, mais là, face à cet homme au visage bienveillant, il redevint petit garçon et ses larmes si longtemps retenues coulèrent.
L’homme s’en étonna. Il crut l’avoir blessé. Il se pencha sur David recroquevillé et lui parla en arabe, puis en espagnol. Seules les larmes lui répondirent. Troublé, il prit alors le garçon par le bras et l’emmena dans une boutique exiguë aux allures de grotte. Au milieu de montagnes de tissus, il le fit asseoir et appela son épouse. L’adolescent finit par articuler quelques mots en espagnol : Busco a mi familia, estoy tan solo , ce qui provoqua un soupir de soulagement autour de lui. La femme lui apporta de l’eau fraîche et de la nourriture. L’émotion le paralysait et il n’avait pas faim. Mais la matrone ne voulait rien entendre, elle l’avait adopté et était décidée à le dorloter comme un bébé. Aussi, devant son insistance, dut-il se résoudre à tout avaler.

L’homme, Yeousha Botbol, et sa femme Anna étaient petits tailleurs. Ils avaient débarqué d’Espagne en 1492 dans de déplorables conditions, et vivaient tant bien que mal, satisfaits d’avoir échappé à la peste et à l’incendie du Mellah. Installés ici depuis trois ans, ils ne se rendaient plus compte de la saleté du quartier ni de son aspect dégradé. Survivre avait été une tâche si difficile, ils n’allaient pas se plaindre ! Anna, pourtant, se mit à pleurer à l’évocation de tous les drames qui avaient secoué la communauté. Elle serra David contre son cœur, tandis que son mari continuait à raconter :
« Nous ne sommes pas malheureux. Bien des années avant qu’on ne débarque ici, un émir a fait édifier le Mellah, pour notre sécurité. Les juifs qui vivaient à Fès avaient été chassés de la ville pour Dieu sait quelles accusations d’hérésie, et persécutés. L’émir fit construire quelques maisons en dehors de la cité, et aida nos malheureux frères en leur donnant les moyens de se protéger de la violence populaire. Contrairement à ce que nous subissions en Espagne, nous ne nous sentons pas prisonniers d’un danger constant et sournois. Les musulmans ne nous trahiront pas comme l’ont fait Isabelle et Ferdinand, puisqu’ils ne nous ont rien promis. Ils nous acceptent, sans aucune indulgence, mais sans haine non plus. Et c’est grâce à cela que nous vivons mieux ici. Du pays que nous avons quitté, il ne reste dans nos mémoires que la douleur et l’injustice, la cruauté et la mort. Nous n’avons pas touché la Terre promise mais, ici, nous sommes vivants. »

 

David ne comprenait que trop bien le sens de ces phrases. N’avait-il pas affronté tous les dangers pour fuir la si cruelle Inquisition ? Yeousha, l’homme au regard serein, l’apaisait et lui redonnait confiance. Il se détendit et, à son tour, raconta son histoire :
« Je m’appelle David Benavista ; ma famille vivait à Tolède lorsqu’Isabelle la Catholique décida d’expulser d’Espagne tous les juifs. Mon grand-père, Lazare, avait cent-un ans, et il refusa de partir, préférant mourir sur la terre de ses ancêtres plutôt que de prendre le chemin de l’exil. Sa sagesse et son courage étaient légendaires. Il s’était maintes fois opposé à l’intolérance de l’Église, allant même jusqu’à prôner le soulèvement de notre communauté lorsque les chrétiens entendirent convertir par la force bon nombre des nôtres. Il ne craignait ni l’opprobre ni la torture. Mes parents ne voulurent pas l’abandonner et durent se convertir, remettant à plus tard leur départ.

"A suivre"

 

         

 

             Didier Nebot

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